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fédéral déjà fortement tendu. Dans un article très remarqué, le World résume ainsi l’opinion des classes modérées et intelligentes sur la rivalité de ces deux hommes : « C’est un spectacle étrange de voir ces deux anciens démocrates convertis au républicanisme, compagnons d’armes, ennemis personnels, finalement alliés politiques, aujourd’hui opposés l’un à l’autre, l’un affectant de représenter le radicalisme et l’autre se posant comme le champion des conservateurs, le protecteur des droits acquis, le défenseur du capital, le précurseur de la division de la société par classes et de la consolidation du gouvernement entre les mains d’une aristocratie inamovible. Il y a quelque chose de grotesque dans la rivalité de Butler et de Grant, mais aussi quelque chose de terrible. Tous deux sont impérieux et sans scrupules, et le succès de l’un ou de l’autre serait gros de dangers publics. L’inévitable révolte contre l’impérialisme de Grant nous rapprocherait du socialisme, et l’inévitable réaction contre le radicalisme de Butler nous rejetterait vers la dictature. Sachons nous contenter de la république telle que nous l’ont laissée nos pères, gardons-nous du bonnet rouge et de la couronne d’or.»

Telle est l’opinion des hommes sages, des politiques prudens, mais non celle des masses, et ces avis modérés n’ont guère chance d’être entendus au milieu des luttes passionnées qui se préparent. Chacun sent que le problème qui s’impose est complexe et que, si dans certains états, les principes sociaux sont en jeu, dans tous et pour tous la question de l’autonomie est de nouveau soulevée; de sa solution dépendra le maintien ou la rupture de l’Union. Pour beaucoup de bons esprits cette rupture est inévitable. Entre le nord manufacturier, l’ouest agricole, le sud planteur, il existe de profondes divergences de vues et d’intérêts. Les états du nord réclament et imposent un régime protectionniste à l’ombre duquel leur industrie grandit, se perfectionne et se prépare à faire dans un délai peu éloigné une concurrence dangereuse aux produits anglais. Les états de l’ouest, essentiellement occupés de la culture des céréales et de l’élevage du bétail, se plaignent de payer un prix excessif pour les objets de première nécessité qu’ils se procuraient autrefois à bon compte par l’exportation européenne. Les effets d’habillement, le mobilier, la chaussure, les outils, tout a renchéri depuis qu’un droit d’entrée exorbitant pèse sur les produits étrangers. On doit un impôt à l’état, disent-ils, mais on ne doit pas de primes à ses concitoyens, ils trouvent injuste de payer fort cher aux fabricans de l’est ce qu’ils se procuraient à bon compte à Manchester, Leeds et Glascow. De là un mécontentement qui se fait jour dans les discussions du congrès, et un rapprochement significatif entre eux et les états du sud.