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était nécessaire que tout fût débarrassé et rendu au jour, afin qu’on pût connaître l’ensemble de la ville. M. Fiorelli se résigna donc à ne pas éblouir de longtemps l’opinion publique par le bruit de découvertes imprévues[1], et à poursuivre en silence une œuvre plus utile que brillante. Il mit douze ans à terminer ce travail qui semblait ingrat, mais quand il fut achevé on en vit l’importance. Celui qui visitait autrefois Pompéi était à chaque instant arrêté par des montagnes de cendres et des îlots de débris qui embarrassaient la circulation, coupaient les rues, interrompaient les promenades. Même aux environs du Forum et tout près des théâtres il restait des maisons qui n’avaient pas été fouillées. Ces lacunes ont aujourd’hui disparu, La partie découverte de Pompéi l’est entièrement ; on l’a toute sous les yeux, avec ses moindres ruelles, ses maisons les plus médiocres, ses boutiques les plus humbles, et l’on peut prendre en la parcourant une idée plus vraie et plus complète de la vie antique, il faut reconnaître que ce résultat méritait bien d’être acheté par quelques années de travail opiniâtre.

Ce travail de patience et de minutie a conduit M. Fiorelli à faire quelques découvertes curieuses dont il faut dire un mot. Pompéi, au premier abord, produit l’effet d’une ville neuve et improvisée. Tout y paraît avoir le même caractère et le même âge. On sait en effet qu’après le tremblement de terre de l’an 63, qui la renversa presque entièrement, elle fut rebâtie en quelques années. Ce qu’on ignore, c’est que les bâtimens nouveaux ont recouvert sans les détruire d’anciennes fondations. Le visiteur qui traverse Pompéi n’aperçoit que les murs de brique revêtus de stuc ou de marbre qui furent élevés en toute hâte du temps de Néron; M. Fiorelli, qui a tout regardé de plus près, est arrivé jusqu’à ces solides assises qui ont survécu au tremblement de terre et résisté à l’éruption du Vésuve. Sous la ville du second siècle, il retrouve au moins deux villes plus anciennes, dont il nous trace l’histoire. La plus vieille remonte au VIe siècle avant l’ère chrétienne; à ce moment, quelques familles, venues on ne sait d’où, prirent possession du sol qui s’étendait entre le Sarnus et la mer. Elles enfermèrent ce sol dans des murailles

  1. Il ne faut pas oublier pourtant que c’est M. Fiorelli qui a eu l’idée de couler du plâtre dans le vide qu’ont laissé les cadavres des Pompéiens en se décomposant. Quand l’opération est bien faite, le plâtre donne exactement l’image du mort. On comprend en effet que cette cendre humide, ou plutôt cette boue brûlante, qui s’est répandue sur Pompéi, quand elle s’est refroidie, ait conservé, comme un moule, les contours des objets qu’elle avait recouverts. C’est ainsi qu’on a pu réunir, dans le petit musée placé à l’entrée de la ville, une collection de personnages qui sont reproduits comme ils étaient quand la mort les a frappés, les uns luttant contre elle avec désespoir, les autres s’abandonnant sans résistance. C’est un spectacle saisissant et l’une des plus grandes curiosités de Pompéi.