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et l’on y a fait en ces quelques années des découvertes aussi curieuses qu’autrefois. Comme je suis forcé de me borner, je n’en signalerai que trois : la fresque de l’Orphée, les livres de compte du banquier Jucundus et la nouvelle fullonica.


II.

De la fresque de l’Orphée je n’ai qu’un mot à dire : on l’a trouvée dans le péristyle d’une maison qui n’avait rien de très remarquable, et elle-même n’aurait pas été fort remarquée si l’on ne se souvenait qu’il y en a une presque semblable dans un des cimetières chrétiens de Rome. Les deux tableaux ne sont guère différens que par leurs dimensions. Celui de Pompéi mesure près de 2 mètres 1/2. Les détails y sont donc mieux accusés et plus visibles que dans la fresque des catacombes, qui est plus petite et que le temps a fort effacée, mais l’aspect général des deux peintures est le même. Orphée est représenté assis, une chlamyde légère descend de ses épaules sur ses jambes, il touche avec le plectrum la lyre à sept cordes. A ses pieds, le peintre de Pompéi a entassé des animaux très divers : un lion, une panthère, un tigre, un sanglier, un cerf, un lièvre; plus loin, des arbres et des rochers, attirés par le charme de sa voix, et un ruisseau qui suspend son cours pour l’entendre plus longtemps. L’artiste chrétien a supprimé tous ces animaux et les a remplacés par deux brebis ; il voulait rappeler sans doute le souvenir du Bon Pasteur, qui était l’image ordinaire et pour ainsi dire officielle du Christ dans les premiers temps de l’église. Mais pour l’ensemble, il a reproduit la fresque païenne. Il pouvait le faire sans scrupule : cette belle figure sérieuse et douce, qui paraît ne s’occuper que du sujet de ses chants sans s’apercevoir des effets étranges qu’ils produisent, a par elle-même quelque chose de religieux. Le christianisme n’avait rien à y changer pour l’accommoder à son culte et à ses dogmes; aussi n’a-t-il pas hésité à représenter le Christ sous les traits que les païens avaient donnés au chantre de Thrace. Ce qui prouve qu’il l’a fait volontiers et sans y être contraint par aucune nécessité, c’est qu’il a placé cette image dans un de ses cimetières, où les infidèles ne pénétraient pas et où il pouvait exprimer librement ses croyances. C’est une preuve de plus de la facilité avec laquelle l’église naissante empruntait les types antiques et de l’importance qu’il faut donner à l’imitation des modèles grecs dans la naissance de l’art chrétien[1].

  1. Je dois ajouter qu’on étudiant les peintures de Pompéi quelques jours après avoir vu celles des catacombes, j’ai été plus frappé que jamais de leur ressemblance. On trouve, surtout dans les maisons qui viennent d’être découvertes, quand le soleil et le vent n’en ont pas fané les couleurs, de ces personnages aux yeux ardens, au teint bistré, comme on en voit si souvent dans les fresques chrétiennes. Il serait bien utile qu’un artiste intelligent comparât de plus près les procédés des deux peintures, et nous fît connaître les résultats de cette comparaison.