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les traces manifestes de l’importance et de la prospérité d’Ostie. Ce temple de Jupiter dont je viens de parler est aujourd’hui entièrement dégagé, et quand on l’a eu débarrassé des ruines qui en recouvraient la base, il a paru dans toute sa splendeur. Il se composait, comme la plupart de nos églises du moyen âge, de deux édifices superposés; celui du dessous servait de réserve et de magasin au temple lui-même. Le fronton était soutenu par six colonnes corinthiennes dont il ne reste que d’informes débris ; mais on possède encore quelques-unes des sculptures élégantes qui ornaient la frise, et le temps a respecté le seuil de la porte qui est formé d’un bloc admirable de marbre africain, long de 4 mètres[1]. Par là nous pouvons juger de la magnificence du reste. Du temple part une rue droite qui se dirige vers le Tibre, c’est-à-dire vers le centre du mouvement et des affaires. Elle était, comme notre rue de Rivoli, bordée de portiques des deux côtés. Les piliers de brique qui les soutenaient sont restés à leur place; on y remet aisément par la pensée la foule de promeneurs de tous les pays qui venaient s’y abriter aux heures chaudes du jour. Cette rue, avec les portiques, a 15 mètres de largeur; c’est la plus grande des voies romaines qu’on ait encore découvertes, et il n’y a rien à Pompéi qui en donne l’idée.

On en était là des travaux lorsque en 1870 Rome changea de gouvernement. Les fouilles d’Ostie ne furent pas interrompues; on se contenta d’en confier la direction à M. Pietro Rosa, connu du public par les découvertes qu’il venait de faire au Palatin. M. Rosa, qui est un esprit inventif et plein de ressources, eut dès le premier jour une idée heureuse et qui devait être féconde. Il ne tenait guère à continuer les travaux de M. Visconti, qu’il remplaçait; il voulait tenter des voies nouvelles et diriger les fouilles d’un autre côté. Il se dit qu’Ostie, étant une des grandes villes de commerce de l’empire, qui recevait des marchandises de tous les pays du monde, possédait certainement des magasins pour les remiser, et que, si l’on consultait les usages ordinaires et les données du bon sens, ces magasins devaient être situés le long du Tibre. C’est là qu’il les chercha, et il ne tarda pas à les trouver. Le Tibre forme en cet endroit un demi-cercle, autour duquel la ville est construite. Il n’a pas de quais, et l’eau vient battre les murs des maisons. Il faut donc admettre qu’au moins dans la vieille Ostie, avant les travaux de Claude et de Trajan, ce n’était pas, comme il arrive aujourd’hui, sur le rivage que les navires débarquaient leur cargaison ; ils les déposaient directement dans les maisons qui bordent le fleuve et qui

  1. On a trouvé, dans les ruines d’Ostie, une grande quantité de marbres précieux. Les plus beaux ont servi à orner la confession de Sainte-Marie-Majeure.