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à ceux qui construisaient des vaisseaux dans cette intention; il augmenta leurs bénéfices et leur promit de les indemniser de leurs pertes. Tous ceux qui, de quelque manière, étaient employés dans l’administration des subsistances de Rome (Annona) furent exemptés de tout autre service : « ils travaillent, disait la loi, dans l’intérêt public. » Cette administration fut l’objet de tant de distinctions et de faveurs de la part du gouvernement qu’on finit par la respecter beaucoup dans les provinces; on avait partout le sentiment de son importance et, comme elle se proposait de faire vivre « la ville sacrée, » on l’appelait quelquefois Annona sancta. Les céréales arrivaient en Italie de toutes les contrées du monde, mais c’était l’Égypte qui fournissait la plus grande partie, plus de la moitié, de ce qui se consommait à Rome. Cette énorme quantité de blé, recueillie dans le pays par les employés de l’annone, était envoyée en Italie sur une flottille particulière, au moment qu’on jugeait le plus favorable. Mais, comme en Égypte la récolte dépend de l’inondation du Nil et n’est pas toujours de la même abondance. Commode eut l’idée de s’assurer contre ce hasard fâcheux en créant une flotte nouvelle qui s’en allait tous les ans à Carthage chercher les blés de l’Afrique; on mettait ainsi à contribution les deux pays les plus fertiles du monde. Ce n’était pourtant pas assez encore; l’Égypte et l’Afrique pouvaient être frappées ensemble de la même stérilité; il fallait prendre des précautions contre une disette générale et mettre Rome à l’abri d’une famine qui atteindrait le monde entier. Pour y parvenir, on bâtit d’immenses greniers qu’on remplissait dans les temps d’abondance en prévision des mauvaises années. Les princes prudens avaient soin de les tenir toujours pleins; ils contenaient, nous dit-on, de quoi faire vivre pendant sept ans toute la populace de Rome : il n’en fallait pas moins pour rassurer cette foule si facilement effrayée, et qui avait tant peur de mourir de faim.

Ce qui explique cette frayeur qu’éprouvait le peuple, c’est que la plus grande partie du blé qui approvisionnait Rome n’y pouvait venir que par mer; or la mer épouvantait les Romains. Ces vaillans soldats ne furent pas en même temps des navigateurs intrépides, comme les Grecs. Ils étaient portés à s’exagérer les périls de l’élément perfide; ils tremblaient toujours pour le sort de ces vaisseaux précieux qui portaient leur subsistance et qui avaient la mer à traverser. Aussi était-ce tous les ans un événement que l’apparition de la flotte d’Égypte en vue des côtes d’Italie. Sénèque raconte que, lorsqu’on apercevait, à Pouzzoles, ces vaisseaux légers qu’on appelait « les messagers, » qui précédaient et annonçaient les autres, la Campanie était en joie. La foule se pressait sur les jetées du port, et l’on cherchait à distinguer dans la profondeur de la