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que pour l’usage des habitans. Les inscriptions nous apprennent que nulle part les corporations n’ont été si nombreuses. Tout le commerce s’y divisait en corps de métiers qui avaient leur lieu de réunion, leur trésor, leurs magistrats. Naturellement, il s’y était fait de très grandes fortunes, et quelques-uns de ces heureux négocians ont tenu à laisser d’eux-mêmes d’importans souvenirs. Comme il arrive d’ordinaire, après avoir conquis la richesse, ils voulaient obtenir la considération et se montraient fabuleusement généreux pour l’embellissement de leur ville ou les plaisirs de leurs concitoyens. Tel fut ce Lucilius Gamala, qui vivait probablement sous les Antonins, et dont quelques inscriptions nous rapportent les libéralités[1]. Il était d’une famille ancienne, et ses ancêtres, pendant plusieurs générations, avaient occupé à Ostie les fonctions les plus honorables. Aussi l’avait-on fait décurion, c’est-à-dire conseiller municipal, dès le berceau. Il devint plus tard pontife, questeur, édile, duumvir, enfin tout ce qu’on pouvait être dans une colonie romaine. Après sa mort, on lui décerna des funérailles publiques et on lui dressa des statues ; mais aussi de combien de bienfaits n’avait-il pas payé d’avance les honneurs dont on le comblait! La liste, qui sans doute n’est pas complète, en est vraiment incroyable; il avait donné des jeux publics, des combats de gladiateurs plus beaux et plus coûteux qu’il n’était d’usage de le faire, sans vouloir accepter la somme d’argent que la ville accordait au magistrat pour l’aider dans ses dépenses. Il avait offert deux fois à dîner à tous les habitans d’Ostie, et une fois même il les avait traités dans deux cent dix-sept salles à manger[2] ; il avait pavé à ses frais une rue, voisine du Forum, dans l’espace qui s’étendait entre deux arcs de triomphe ; il avait réparé le temple de Vulcain, celui du Tibre, celui des Castors, reconstruit celui de Vénus, de la Fortune, de Cérès et de l’Espérance; il avait fait cadeau de poids publics dans le marché et la halle aux vins, élevé un tribunal de marbre sur le Forum; il avait bâti tout un arsenal et reconstruit les thermes d’Antonin détruits par un incendie. Enfin, comme la ville, qui s’était engagée à fournir une somme considérable au trésor de l’état, dans un moment de détresse, avait peine à tenir ses

  1. Ces inscriptions ont été étudiées à la fois par M. Mommsen, dans l’Ephemeris epigraphica, et par un jeune élève de notre école d’Athènes, M. Homolle, dans la Revue archéologique. — À ce propos, je dois exprimer tous mes remercîmens à M. Homolle, qui, avant de faire à Délos les belles fouilles qu’on connaît, s’est beaucoup occupé d’Ostie. Il a bien voulu mettre à ma disposition le mémoire qu’il adressait à l’Académie des inscriptions et qui contient le résultat de ses études. J’en ai largement profité.
  2. Plutarque nous apprend que César, après son triomphe, donna à dîner au peuple à Rome dans 1,022 salles à manger. On voit que Gamala imitait de grands exemples.