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collège que Bacon met en scène, qu’il nous serait fort aisé, à nous qui disposons de tant de choses naturelles propres à exciter l’admiration, d’imposer aux sens en une infinité de manières, si nous voulions nous ériger en faiseurs de miracles, mais nous haïssons le mensonge et la fausseté. Tromper le peuple en lui donnant à croire que ce qui est naturel est surnaturel est le plus grand crime dont puisse se rendre coupable un membre de l’Institut de Salomon. » Le travail est commun, mais diversement réparti, conformément aux goûts et aux aptitudes de chacun, entre les membres du noble Institut. Bacon, suivant son usage, se plaît à leur donner des appellations plus ou moins ingénieuses et pittoresques, d’après la nature de leurs travaux et de leurs recherches. Ceux qui ont la mission de visiter les pays étrangers pour en rapporter tout ce qui peut contribuer au progrès des sciences sont les marchands de lumières. D’autres, au lieu de chercher dans le grand livre du monde, doivent feuilleter les livres anciens pour y recueillir tous les faits remarquables, toutes les expériences utiles et lumineuses, ce sont les butineurs. Les chasseurs ou maraudeurs, les mineurs, les partageans, les bienfaisans, s’occupent, les uns à ramasser les expériences du domaine des métiers et des arts, c’est-à-dire de l’industrie, les autres à faire de nouvelles découvertes et à ranger méthodiquement dans des tables les expériences faites ou trouvées. Ces dénominations bizarres ne sont pas sans quelque analogie avec celles que donne Fourier à tous les groupes ou sous-groupes de son phalanstère. Enfin il y a des assemblées générales où de ces premières collections on s’occupe à extraire des expériences et des découvertes nouvelles, et tout ce qui peut contribuer à augmenter les lumières et améliorer les conditions de l’espèce humaine. Il est réservé à quelques esprits d’élite de chercher les rapports de toutes les vérités particulières pour en tirer des principes généraux et en déduire les conséquences. Toutes les découvertes, tous les moyens de prévenir ou de combattre tel ou tel fléau sont solennellement publiés par tout l’empire.

De même que Bacon a donné une sorte de caractère sacerdotal aux membres de ce collège sacré, de même il tend à faire de la science elle-même une sorte de culte et de religion, ce qui achève la curieuse analogie que nous avons déjà signalée avec le saint-si monisme. Dans leurs réunions, les académiciens de l’île de Ben-Salem chantent des liturgies, des hymnes consacrées pour rendre hommage au souverain auteur de ces ouvrages admirables qui sont l’objet de leur contemplation et de leurs études; ils disent aussi des prières spécialement destinées à implorer son secours dans leurs travaux pour la découverte de la vérité.

Là s’arrête la Nouvelle Atlantide. Bacon, d’après son éditeur