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D’ailleurs le pape Léon XIII est ce qu’il a toujours été ; il est animé des meilleures intentions, mais ce n’est pas un esprit dominant. Il est donc à présumer que le chancelier ne pourra former la nouvelle majorité qu’il rêve. À vrai dire, le congrès marche lentement, mais sûrement, et la paix est assurée tant bien que mal. Cette paix, on l’attribuera à M. de Bismarck, résultat qui augmentera encore son prestige ; toutefois l’influence ne s’en fera guère sentir sur les populations électorales, qui vivent dans une sphère moins élevée ; le suffrage universel ne s’inspire pas dans ces hauteurs atmosphériques. Somme toute, les efforts du gouvernement ne modifieront pas sensiblement la composition du nouveau Reichstag, qui ressemblera beaucoup à l’ancien. M. de Bismarck lui proposera des lois contre le socialisme, elles seront votées mutalis mutandis comme elles l’eussent été, si on avait daigné, après l’attentat de Nobiling, rappeler le feu parlement. Quant aux mesures financières projetées par le chancelier, c’est une autre affaire, Réussira-t-il à les faire voter ? Là-dessus le doute est permis. »

Les prévisions du sagace politique se sont accomplies pour la plupart. Les dernières élections n’ont pas modifié sensiblement la force numérique des partis. Le centre catholique s’est accru de quelques voix, les conservateurs de toutes nuances ont acquis quelques sièges de plus, les progressistes et les libéraux en ont perdu un certain nombre. Quant au parti bismarckien proprement dit, il est représenté par le comte Wilhelm de Bismarck, qui, interrogé par les catholiques hanovriens sur la ligne de conduite qu’il se proposait de suivre dans les questions ecclésiastiques, leur a répondu qu’il consulterait au préalable le chancelier de l’empire pour savoir ce qu’il devait leur répondre. Le nouveau Reichstag ressemble beaucoup à l’ancien, et la nouvelle loi d’exception contre le socialisme sur laquelle il est appelé à délibérer diffère peu de celle qui avait été rejetée, à cela près qu’elle est plus rigoureuse encore et plus draconienne. Cette loi sera repoussée par le centre catholique et par les progressistes ; selon toute apparence, elle ne laissera pas d’être votée mutatis mutandis, c’est-à-dire avec les amendemens que proposeront les libéraux et que le gouvernement acceptera. Si on en maintient les principales dispositions, il y aura plus de 600,000 électeurs et presque deux millions d’Allemands qui seront privés de leurs droits constitutionnels ; ils seront dans l’absolue dépendance de la police, et pour eux il n’y aura plus de juges à Berlin. Ces deux millions d’Allemands ne pourront plus ni s’associer, ni se rassembler même en lieu clos ; il leur sera défendu aussi d’avoir une bourse commune, sous peine de la voir confisquer. Ils n’auront pas davantage le droit d’écrire soit des articles de journaux, soit des brochures, soit même des livres, et s’ils en écrivaient, ils ne trouveraient point d’éditeurs pour les publier, point de libraires pour les vendre. Ne pouvant plus écrire,