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symbolisent la fidélité conjugale). « Ces deux oiseaux, beaux comme les cerisiers en fleurs, ont péri avant leur temps, comme les fleurs brisées par le vent avant d’avoir donné leur graine. » Le peuple d’Yédo vient encore brûler de l’encens et déposer des fleurs sur cette tombe; la piété filiale et la passion sincère ont sanctifié dans la légende populaire les désordres des deux amans.

Au Japon comme en Europe, les romanciers aiment les dénoûmens tragiques, qui ne se rencontrent pas plus dans la vie ordinaire chez eux que chez nous. Dans les deux récits qui précèdent, les événemens dramatiques s’accumulent sans vaincre l’impression de monotonie qui ressort de cette lecture; les sentimens s’enflent jusqu’au sublime, les aptitudes et les exploits des héros dépassent la mesure commune ; nulle étude des ressorts secrets du cœur humain, nulle analyse; nous sommes en pleine fiction, en pleine légende héroïque.

Le kusa-zoshi offre un spectacle plus trivial, mais plus instructif sous le rapport des mœurs; il nous introduit dans l’intimité de la vie réelle, au milieu de personnages que nous croisons tous les jours dans la rue. M. Turettini a donné, à Genève, la traduction d’un roman de ce genre dû à la plume féconde de Riuteï Tanefico. Comme le fait remarquer l’auteur dans sa préface, nous ne sommes point ici jetés au milieu d’aventures étranges où interviennent des puissances surnaturelles, des machines poétiques; nous sommes initiés aux sentimens, aux pensées, aux actes de dévoûment ou aux défaillances morales de deux jeunes gens qui s’aiment. Le récit serre la réalité de près et puise son charme dans la vérité des détails, la vraisemblance des faits et le naturel des discours.

Le seigneur Tamontaru est à la chasse; il arrive avec toute sa suite au bord d’un étang où l’on voit écrit sur une planche verticale, comme on en rencontre souvent aux carrefours, ces vers du prêtre Saizan : « Je conçois d’où me vient cette tristesse qui malgré moi me saisit; c’est qu’en automne, aux approches de la nuit, je me trouve dans cette solitude de Sigi-tadzu-sawa. » Là-dessus une discussion s’engage sur le sens du mot Sigi; elle dégénère, et le jeune Simanosuki, ayant manqué de respect à son maître, est banni de sa présence; nul ne sait vers quel point de l’horizon il dirige sa fuite.

Huit ans s’écoulent. Nous sommes transportés à Atsinosima, dans la province de Setziu, où nous trouvons, à son comptoir, un beau jeune homme qu’on appelle Sakitsi, si zélé, si exact, si absorbé par son commerce, qu’il est sur le point d’en faire une maladie noire contre laquelle on n’imagine d’autre remède que le voyage. En passant à Nara, ses regards sont attirés et ses sens charmés par