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lentement grossissant qu’il croit entendre gronder de toutes parts avant qu’éclate la voix tumultueuse et déclamatoire de la philosophie du siècle.

On peut caractériser d’un seul mot l’esprit du XVIIe siècle : c’est un siècle de foi. En cherchant bien, on découvrira dans un canton perdu de la littérature ou de la philosophie quelque poète de cabaret, comme Théophile, impie jusqu’à l’obscénité, quelque bel esprit de ruelles, comme Saint-Évremond, voluptueux, sceptique et mécontent : il n’importe. Les Théophile et les Saint-Évremond sont attardés sur le XVIe siècle plutôt qu’en avance sur le XVIIIe siècle. Disciples de Montaigne plutôt que précurseurs de Voltaire, leur voix ne parle pas à l’avenir, elle n’est qu’un écho mourant du passé. Le siècle est sincèrement croyant. Il croit à la mission des rois, comme il croit, dans cet autre domaine où ne retentissaient pas encore les agitations de la politique, aux règles éternelles de l’art. La confiance de Louis XIV en lui-même et dans son rôle de lieutenant de Dieu sur la terre n’a d’égale que la confiance de Boileau dans sa destinée d’arbitre du bon goût et de législateur du Parnasse. Ce poète qui pèse des syllabes et ce roi qui descend au dernier détail des affaires ne sont pas les dupes naïves de ce que l’on a bien osé nommer leur petitesse et leur médiocrité d’esprit. Ils obéissent à la même préoccupation scrupuleuse, au même souci de la perfection. Le XVIIIe siècle au contraire est par excellence le siècle de l’incrédulité, l’âge d’or de la critique, l’ère bénie du scepticisme. Il a cru cependant à deux choses, et, par un singulier retour, ayant nié tout ce qu’il y a de fixe et de solide, il a mis toutes ses complaisances dans ce qu’il y a de plus changeant et de plus trompeur chez l’homme, l’expérience de l’œil et de la main, dans ce qu’il y a de plus illusoire et de plus faillible au monde, la raison raisonnante. Il a cru aussi aux anguilles de Needham, au baquet de Mesmer et au charlatanisme de Cagliostro.

Eh bien ! ce changement, nous dit-on, n’est pas l’œuvre de la philosophie. Il est possible que l’incrédulité contemporaine marche encore dans les traces des pas de l’incrédulité du XVIIIe siècle. Une plaisanterie de Voltaire, une invective de Jean-Jacques, une obscénité de Diderot, peuvent être encore des argumens pour elle. On paraphrasera toujours avec applaudissemens et profit le Dictionnaire philosophique ou la Religieuse. Mais, au vrai, ce sont ceux-là mêmes dont le premier devoir était de conserver intact le dépôt des traditions qui l’auraient tout les premiers, avec une maladresse insigne, dénaturé, compromis et livré finalement au scandale des disputes humaines. Ce sont les membres eux-mêmes de l’épiscopat français qui, dans l’ardeur de la lutte engagée dès les dernières