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l’avenir moins sombre et la catastrophe moins prochaine. Je n’en veux d’autre preuve que sa lettre à Voltaire sur la victoire de Fontenoy, bulletin de triomphe s’il en fut, et d’enthousiasme monarchique. On sait d’ailleurs que vers le même temps, la France entière, dans un dernier élan d’amour et de piété pour ses princes, venait de décerner à Louis XV, malade à Metz, le surnom de « Bien-Aimé. » Rien n’est donc encore perdu. Malgré la bulle, malgré le parlement, malgré M. Rocquain tout était même peut-être sauvé, si les choses n’eussent repris aussitôt leur cours accoutumé. Car ni Raucoux, ni Lawfeld n’y font rien, et c’est une victoire sans lendemain que la victoire de Fontenoy. Ce grand bruit de bataille s’éteint dans le silence du traité d’Aix-la-Chapelle, traité de dupe, s’il n’est pas encore un traité de honte; les affaires retombent dans le désarroi, et le maître lui-même, étonné, fatigué de l’effort qu’il vient de faire, passe des bras de la duchesse de Châteauroux dans ceux de Mme de Pompadour. Il est bon de noter en passant qu’il n’y a rien là, dans cette hérédité de la quenouille et du cotillon, qui scandalise Barbier. Au contraire, s’il s’indigne, ce sera de ce que l’on ose bien chansonner Mme de Pompadour. Tant d’impertinence le passe. « Il faut avouer qu’il y a des gens bien insolens. Il suffit que le roi soit attaché à une femme pour qu’elle devienne respectable à tous ses sujets. » D’Argenson entend mieux, voit plus loin, et du fond de sa retraite, — on peut dire le mot, — continue de prophétiser. Il entend monter le cri de la foule contre celle qu’on appelle la coquine du roi. Dans le contraste toujours grandissant de la misère publique et de la débauche royale, il voit se former et grossir l’amoncellement des colères populaires. « Je sais de l’un des principaux magistrats de Paris, écrit-il en 1753, que les Parisiens sont en grande combustion intérieure; l’on y prend des précautions militaires, le guet monte la garde chaque jour... ce même magistrat ne doute pas qu’à la suppression du Châtelet, l’on ne fermât les boutiques, qu’il n’y eût des barricades et que c’est par là que la révolution commencerait. » Et trois mois plus tard : « Ainsi tout se prépare à la guerre civile et voilà que le roi n’emploie plus ses forces que contre ses sujets. Aussi les esprits se tournent-ils au mécontentement et à la désobéissance, et tout chemine à une grande révolution dans la religion et le gouvernement. » Mais il précisera davantage : « La révolution, dira-t-il, est plus à craindre que jamais. Si elle est pour arriver à Paris, cela commencera par le déchirement de quelques prêtres dans les rues, même par celui de l’archevêque de Paris, le peuple regardant ces ministres comme les vrais auteurs de ses maux. » N’est-il pas bien curieux cependant que ce soient ces mêmes années