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est un expédient de circonstance. Ils se contiennent parce qu’il le faut, en ayant toujours l’air de jouer la comédie, et tandis que d’un côté ils mesurent leur langage, ils semblent d’un autre côté dire sans cesse à leurs adhérens prêts à s’emporter, à leurs amis impatiens : « Attendez ! n’allez pas compromettre tout ce que nous avons gagné. La modération, c’est pour avoir un bon sénat comme nous le désirons. Quand nous aurons une majorité républicaine au sénat, alors nous serons libres, notre parti régnera et gouvernera. Nous pourrons réaliser nos idées et déployer notre drapeau, le drapeau de la vraie république ! » — Eh bien ! non, si l’on faisait ces calculs, la tactique serait vaine. Ceux qui se croiraient assez habiles pour dominer le pays après l’avoir abusé, et pour entraîner à leur suite les modérés dont ils auraient un moment exploité l’alliance, ceux-là seraient certainement trompés dans leurs calculs équivoques. Il n’y a pas une sagesse de nécessité avant les élections, et la liberté de tout faire après les élections. La modération est une loi de vie ou de mort le lendemain comme la veille. La politique qui a aidé à créer la république est la seule qui puisse la faire durer, et puisqu’on invoque si souvent M. Thiers, non-seulement comme le patriotique libérateur du territoire, mais comme le fondateur des institutions nouvelles, qu’on l’accepte tout entier avec sa raison et sa prévoyance, avec ce programme si profondément médité auquel il a attaché son nom, qu’il a laissé comme un héritage à ceux qui prétendent le continuer.

C’est par M. Thiers et ses premiers collaborateurs de 1871, en effet, c’est par M. Casimir Perier, par M. Dufaure, encore aujourd’hui président du conseil, c’est par tous ces hommes patriotes dévoués et libéraux expérimentés que le régime nouveau a conquis son crédit, que les conditions de la seule république possible ont été tracées dès la première heure. Que disait M. Thiers dans ce message du 11 novembre 1872, qui reste comme le lumineux exposé d’une situation, comme le programme de tout ce qui s’est accompli depuis ? « La république sera conservatrice ou elle ne sera pas ;… la république n’est qu’un contresens si, au lieu d’être le gouvernement de tous, elle est le gouvernement d’un parti quel qu’il soit. Si, par exemple, on veut la représenter comme le triomphe d’une classe sur une autre, à l’instant on éloigne d’elle une partie du pays d’abord, et le reste ensuite… » Et dans une de ces phrases un peu longues où il se plaisait quelquefois, où il promenait sa pensée à travers toutes les évolutions, il ajoutait : « Je ne comprends, je n’admets la république qu’en la prenant comme elle doit être, comme le gouvernement de la nation qui, ayant voulu longtemps et de bonne foi laisser à un pouvoir héréditaire la direction partagée de ses destinées, mais n’y ayant pas réussi par des fautes impossibles à juger aujourd’hui, prend enfin le parti de se régir elle-même, elle