Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/953

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui prêtent toujours néanmoins à des interprétations dangereuses, compromettantes pour un homme public.

Que se propose M. Gambetta avec ces procédés et ces allures de politique en représentation ? Il recueille des succès qui peuvent flatter son orgueil, il fanatise quelques séides empressés à le suivre, il a les bénéfices et les plaisirs de l’ostentation personnelle, c’est possible : franchement, avec sa position, avec fon talent et son esprit, il pourrait aspirer à un autre rôle, à un rôle plus sérieusement utile pour lui-même et pour la république. Il passe malheureusement un peu trop comme un ouragan d’éloquence à travers les villes, gagnant ceux qui n’ont plus besoin d’être conquis, troublant les indécis qu’il devrait rassurer, inquiéiant les modérés, qui ne savent plus ce qu’ils doivent croire de ses idées, de ses projets ou de ses ambitions. M. Gambetta ne se fait pas sans doute l’illusion d’avoir tracé à Grenoble ou à Romans un programme de politique saisissable et réalisable à la veille des élections sénatoriales et de la session parlementaire. Il a voulu bien plutôt apparemment, au risque des difficultés qu’il pouvait créer, faire sentir son influence et maintenir sa position par un coup d’éclat. Il a les ovations, il laisse au gouvernement le soin de sauvegarder la paix générale, de maintenir cette situation favorable où toutes les manifestations sont possibles, de se mesurer avec les embarras de tous les jours, d’avoir une opinion sensée et pratique sur les questions qui émeuvent le pays, d’assurer enfin la marche de tous ces intérêts dont l’ensemble compose la vie nationale.

C’est le rôle du gouvernement, et pour lui, à la veille de la session, aux approches des éleciions sénatoriales, c’est évidemment plus que jamais l’heure de se tracer à lui-même un plan de conduite, de préciser ses idées et ses intentions, de fixer les limites de ce qu’il veut et de ce qu’il peut faire, de ce qu’il accepte et de ce qu’il combat. La politique que le ministère se propose de suivre n’a certainement rien de mystérieux. Elle est tout entière dans les traditions de la grande carrière de M. le garde des sceaux, dans les opinions universellement connues de M. Dufaure ; elle est aussi dans toutes ces déclarations que M. le ministre des travaux publics a multipliées depuis quelques mois, qui résument toutes un programme d’habile et profitable conciliation ; elle est dans la prudente direction des ministres qui président aux finances, aux affaires intérieures comme aux affaires étrangères, dans le zèle chaleureux de M. le ministre de l’instruction publique pour les progrès de renseignement sous toutes les formes. Ce que représente, ce que doit représenter le ministère, c’est cette politique de ferme et persévérante modération, qui consiste à gouverner sans exclusion, sans esprit de parti, à défendre pied à pied les droits de l’état, les institutions nouvelles contre toutes les hostilités aussi bien que contre toutes