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entrevue, on estimait que tout serait terminé avant l’expiration de l’armistice: l’Autriche était résignée[1], la Prusse était accommodante[2] M. de Bismarck prévoyait le quart d’heure de Rabelais ; nous n’avions encore introduit aucune demande, mais ce qui lui revenait de Paris montrait que « nos prétentions initiales, » suivant l’expression du ministre d’état, se reporteraient avant tout sur l’Allemagne. Il avait donc hâte de désintéresser l’Autriche et de s’assurer du côté du Rhin toute la liberté de ses mouvemens. M. Drouyn de Lhuys multipliait ses efforts pour vaincre les dernières résistances de l’Italie; il croyait bien faire en hâtant la conclusion de la paix, se flattant qu’une fois débarrassé des entraves de la médiation il pourrait se consacrer tout entier à l’intérêt français, que la surexcitation de l’opinion publique ne permettait pas de laisser plus longtemps en souffrance.

Dès la première heure, M. de Bismarck avait annoncé qu’il n’ouvrirait les négociations qu’avec l’Autriche seule ; lorsqu’il fut convaincu que le cabinet de Vienne était franchement résigné à lui livrer la direction de l’Allemagne, ce qui pour lui était le point capital, il maintint d’une manière absolue son refus d’admettre aux conférences les représentans des états secondaires. Il en coûta peu à la cour de Vienne de les abandonner à leur sort; c’étaient des alliés équivoques et au demeurant peu dignes d’intérêt. Pendant la paix ils s’étaient épuisés en luttes stériles, et, lorsque vint la guerre, ils ne surent prendre aucun parti décisif. Leur attitude n’avait servi qu’à fournir à M. de Bismarck les moyens de discréditer la Diète, de s’attaquer aux institutions fédérales et de précipiter la rupture de la confédération, qui était leur seule raison d’être, la garantie la plus précieuse de leur existence. Aussi l’Autriche, malgré ses traités d’alliance, laissa-t-elle à la Russie le soin de défendre le roi de Wurtemberg et le grand-duc de Hesse, et à la France celui d’empêcher le démembrement de la Bavière. Mais sa résignation n’allait pas jusqu’à souscrire à un remaniement territorial dans le nord de l’Allemagne sans le concours ou l’adhésion des grandes puissances ; elle comptait sur une intervention diplomatique de l’Europe pour contenir ou modérer les vues ambitieuses de la Prusse.

M. de Bismarck ne laissa pas aux plénipotentiaires autrichiens le temps de protester; il n’eut qu’à placer sous leurs yeux les dépêches du comte de Goltz pour les convaincre de l’inanité de leur résistance.

  1. Le 12 juillet, M. Drouyn de Lhuys avait télégraphié à M. de Gramont que l’empereur pensait que la continuation de la lutte serait la ruine complète de l’Autriche.
  2. Ce qui en ce moment importait avant tout à M. de Bismarck, c’était que l’Autriche sortît de la confédération germanique et renonçât à toute participation aux affaires allemandes des deux côtés du Mein.