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sans opposition de la part de l’empereur, qui s’en rapportait à la sagesse de ses conseils, et en particulier à l’expérience de son ministre des affaires étrangères. L’ambassadeur était invité à soumettre au gouvernement prussien un projet de traité « assurant à la France la rive gauche du Rhin jusques et y compris la forteresse de Mayence. »

— « Je préférerais disparaître de la scène politique, avait dit M. de Bismarck avant la guerre, dans une de ses heures les plus critiques, plutôt que de céder Mayence[1], » et c’était la cession de Mayence qu’on se proposait de lui réclamer, au lendemain de sa rentrée triomphale à Berlin. M. Benedetti savait mieux que personne combien cette prétention avait peu de chance d’être accueillie. Il était si convaincu des difficultés qu’il rencontrerait, qu’avant de communiquer le projet de traité il demanda l’autorisation d’en venir conférer avec le ministre. Mais il lui fut enjoint de passer outre et de ne venir à Paris que pour rendre compte de l’accueil fait à notre communication[2]. On dit qu’il hésita et que malgré ces ordres il eut un instant la pensée de laisser ses instructions en souffrance et de partir pour s’en expliquer avec M. Drouyn de Lhuys. Il eut tort de se méfier de ce premier mouvement, qui était dicté par la sagesse même. S’il l’avait suivi, il eût épargné de douloureuses épreuves à son pays. Mais se ravisant, et se faisant fort des assurances qui lui avaient été données à Brünn et à Zwittau, il se résolut, esclave de ses instructions, à faire ce qu’on lui demandait. «Je ne négligerai aucun effort, écrivait-il, quelque vive que puisse être la résistance que je suis certain de rencontrer, car j’estime que dans cette négociation la fermeté est le meilleur, je dirais volontiers l’unique argument qu’il convienne d’employer. »

Après une longue campagne diplomatique, ouverte et poursuivie froidement et systématiquement, sans nourrir la moindre illusion sur les tendances secrètes du cabinet de Berlin, M. Benedetti devait perdre en un seul jour tout le bénéfice de sa réserve et de sa clairvoyance. Il crut être habile, et pensa « faire acte de prudence[3]» en se faisant précéder chez le président du conseil par l’envoi d’une copie du projet de traité, écrite de sa main. Il livrait ainsi à un adversaire sans scrupules une arme qui devait porter à notre politique un coup irréparable.

« Profondément pénétré des résistances que rencontreraient nos propositions, a-t-il dit dans le livre consacré à sa défense, j’avais

  1. Dépêche de M. Benedetti, 4 juin 1866. — « Il a cependant échappe au président du conseil de dire que, « si la France revendiquait Cologne, Bonn et même Mayence, il préférerait disparaître de la scène politique plutôt que d’y consentir. »
  2. Benedetti, Ma Mission en Prusse.
  3. Lettre particulière de M. Benedetti.