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avait reçu communication de nos ouvertures. M. de Bismarck répondit que, pour sa part, il avait évité de lui en parler, mais qu’il ne pouvait garantir que le roi ne lui en eût pas fait connaître la substance, « Je n’en constate pas moins, télégraphiait M. Benedetti, que j’ai remis copie de notre projet à M. de Bismarck, dans la matinée du dimanche, et que le général de Manteuffel, qui venait à peine de reporter son quartier général à Francfort, a été appelé à Berlin dans la nuit. »

D’autres surprises étaient réservées à notre ambassadeur. M. de Bismarck l’avait engagé à développer de vive voix à l’empereur les motifs qui s’opposaient à la cession de Mayence et à rechercher avec lui des combinaisons qui se concilieraient mieux avec le sentiment germanique. Il lui avait recommandé instamment le secret le plus profond sur leurs entretiens, et le 10 août, le jour même de son arrivée à Paris, il pouvait lire dans le Siècle que la France, en prévision d’un agrandissement considérable de la Prusse, avait ouvert avec le cabinet de Berlin des pourparlers au sujet des provinces du Rhin, et que ces propositions avaient été repoussées. La dépêche était de M. Vilbort, que le Siècle avait attaché à la personne de M. de Bismarck en qualité d’historiographe pendant la campagne de Bohême. M. Vilbort avait conféré le 8, au matin, avec le ministre prussien, d’autres disent avec M. de Keudell, et, le soir même, il était parti précipitamment pour Paris, se prêtant sans le savoir à un stratagème, en jetant le mot de frontières du Rhin au milieu des esprits surexcités. Le lendemain, dans une correspondance datée de Berlin, le Siècle complétait ses renseignemens : il disait que l’ambassadeur de France avait eu avec le président du conseil deux entretiens, dont l’un s’était prolongé de dix heures à minuit, que la question des frontières du Rhin était officiellement posée, que M. de Bismarck s’était montré peu enclin à suivre la France dans la voie des compensations territoriales, et que des exigences françaises qui blesseraient le sentiment national des Allemands les mettraient tous debout autour du roi de Prusse. Interpellé par les membres du corps diplomatique, M. de Bismarck simula l’étonnement; mais son organe habituel, la Gazette de l’Allemagne du Nord, prit l’offensive : « Le premier sentiment que nous éprouvons, disait-elle, est celui du regret en voyant livrer de telles questions à la publicité; mais nous constatons avec satisfaction que ce n’est pas la presse allemande qui, au début de cette nouvelle phase des complications diplomatiques, a révélé les pensées du cabinet français. Il est du reste caractéristique, ajoutait ce journal, que ce soit précisément le Siècle, l’organe des cercles chauvinistes de France, qui ait été appelé à répandre le premier