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influences occultes, ardentes et passionnées, et pourquoi il n’avait pas surveillé de sa personne, avec la sollicitude que comportaient les circonstances, l’insertion au Moniteur du décret de convocation des chambres. Ce n’est que le lendemain, en se faisant donner par son chef de cabinet le journal officiel, qu’il devait constater que le décret n’avait pas été publié, que l’intérêt italien avait prévalu sur l’intérêt français. On s’étonnait aussi que le 20 juillet il eût permis à M. de Goltz de le devancer à Saint-Cloud. N’avait-il pas le télégraphe et des estafettes sous la main pour rendre compte à l’empereur, ne fût-ce que sommairement, des demandes de l’ambassadeur de Prusse et des refus catégoriques qu’il leur avait opposés? M. de Bismarck faisait meilleure garde autour du roi Guillaume, bien qu’il n’eût pas à stimuler son ambition, il tenait les diplomates à distance, surveillait le « cousinage[1] » et neutralisait l’action du parti autrichien. La lettre que l’empereur adressa au ministre démissionnaire était fort laconique, elle aurait pu passer pour une disgrâce; mais M. Drouyn de Lhuys était nommé membre du conseil privé, c’était un correctif.

Le gouvernement recouvrait tardivement l’unité d’action qui lui avait manqué jusqu’alors. La démission de M. Drouyn de Lhuys fut suivie d’une évolution. On devait avant peu inaugurer la politique des grandes agglomérations. En attendant, on renonçait momentanément à rien obtenir en Allemagne pour « se replacer hardiment sur le terrain des nationalités. »

« Dans le cours d’une conversation entre mon ambassadeur et M. de Bismarck, écrivait l’empereur au marquis de Lavalette, M. Drouyn de Lhuys a eu ridée d’envoyer à Berlin un projet de convention. Cette convention, dans mon opinion, aurait dû rester secrète, mais on en a fait du bruit à l’extérieur. Les journaux vont jusqu’à dire que les provinces du Rhin nous ont été refusées. Il résulte de mes conversations avec Benedetti que nous aurions toute l’Allemagne contre nous pour un très petit bénéfice. Il est important de ne pas laisser l’opinion publique s’égarer sur ce point. Le véritable intérêt de la France n’est pas d’obtenir un agrandissement de territoire insignifiant, mais d’aider l’Allemagne à se constituer de la façon la plus favorable à nos intérêts et à ceux de l’Europe. »

Cette lettre est d’une haute importance, au point de vue des responsabilités si difficiles à saisir et à fixer. Le prince Albert, dans les notes qu’il dictait en 1854[2], au retour de l’entrevue de Boulogne, prévoyait déjà que l’empereur, en voulant gouverner par lui-même, finirait par être accablé sous la masse des détails sans importance, tandis que la véritable direction des affaires lui serait

  1. les princes alliés de la famille royale.
  2. Th. Martin. Vie du Prince Consort.