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assurer ultérieurement la Belgique. Si ces bases étaient jugées excessives, on lui laissait la faculté de renoncer à Saarlouis, à Saarbrück et même à Landau, « une vieille bicoque, dont la possession pouvait soulever contre nous le sentiment allemand, » et il était autorisé à borner ses conventions publiques au Luxembourg et ses conventions secrètes à la Belgique. Enfin, si la réunion de la Belgique à la France devait rencontrer de trop grands obstacles, M. Benedetti pouvait, pour apaiser le courroux de l’Angleterre, consentir à la neutralisation d’Anvers, constituée en ville libre[1].

Ainsi traité ostensible, qui au minimum nous attribuerait le Luxembourg; traité secret, stipulant une alliance offensive et défensive; faculté pour la France de s’annexer la Belgique, au moment où elle le jugerait opportun; promesse de concours, même par les armes, de la part de la Prusse, telles étaient les bases du traité à intervenir en échange de la consécration des faits accomplis en Allemagne et de l’extension éventuelle de la Prusse au-delà du Mein.

Les papiers de Cercey ont jeté sur cette phase de nos pourparlers avec le cabinet de Berlin une affligeante lumière. Ils ont révélé toute l’étendue de nos illusions et de notre imprévoyance. J’ai dit dans quelles conditions et par quels moyens le gouvernement prussien s’est trouvé détenteur des documens qui pendant de longues années étaient venus s’accumuler au ministère d’état et qui constituaient la partie la plus secrète et la plus importante de notre correspondance extérieure. C’est une perte irréparable pour notre histoire diplomatique, perte d’autant plus grande qu’une partie des papiers trouvés aux Tuileries, et qui auraient pu combler bien des lacunes, ont péri pendant la commune, dans l’incendie de l’Hôtel de Ville, où s’était installée la commission chargée de les classer. Si la perte est regrettable pour nos archives, elle pourrait bien l’être aussi pour l’empire, car, si dans les révélations livrées au public tout n’a pas été accablant, tant s’en faut, il est permis aux esprits impartiaux d’en inférer que dans les papiers disparus on aurait pu relever, à la justification du souverain et de ceux qui l’ont servi, plus d’une page atténuante.

Atteint par la défense de M. Benedetti[2], qui s’appuyait sur sa

  1. Papiers de Cercey.
  2. Le livre de M. Benedetti, écrit fiévreusement au lendemain de 1870, sous le coup d’attaques passionnées, contenait des lacunes et n’était pas exempt d’erreurs. Il avait un tort plus grave aux yeux du prince-chancelier, celui de contredire des légendes en train de s’accréditer; il révélait le dessous des cartes. L’ancien ambassadeur de France à Berlin nous montrait, à l’encontre des historiographes allemands, M. de Bismarck implorant le bon vouloir de la France, sollicitant son concours et tout disposé à de certaines heures à subordonner ses sentimens germaniques à l’ambition prussienne. M. Benedetti se défendait, mais tout en se défendant, il n’en rendait pas moins hommage à l’indomptable énergie et au génie politique du ministre prussien.