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moins difficiles que les bêtes à cornes, et quand l’herbe leur fait défaut, ils se jettent sur tout ce qu’ils rencontrent, dévastent les forêts, tondent les arbrisseaux, arrachent les plantes avec leurs racines et ravagent un pays comme pourrait le faire une nuée de sauterelles. Dans les Alpes, où les troupeaux se transportent au printemps dans la montagne pour en redescendre en automne, ils ravinent le sol avec leurs ongles pointus et favorisent la formation des torrens. Ces troupeaux, qui comptent plus de 2 millions de têtes, n’appartiennent pas exclusivement aux habitans du pays ; un tiers au moins sont transhumans ; ils viennent des plaines de la Provence ou du Piémont et, pour une rétribution de 1 franc par tête, acquièrent le droit de ne laisser sur leur passage aucune trace de végétation.

En Suisse, les cantons italiens sont dans le même cas et le pâturage des moutons et des chèvres exercé sans contrôle produit les mêmes effets; mais dans les autres cantons, les bêtes à laine sont remplacées par des bêtes à cornes et c’est à cette circonstance qu’il faut attribuer l’état relativement satisfaisant des forêts, la beauté des pâturages et l’abondance des eaux. L’administration forestière a bien fait chez nous quelques efforts pour substituer la race bovine à la race ovine en donnant des subventions pour l’établissement de fruitières analogues à celles qui fonctionnent dans le Jura. Ce sont, on le sait, des associations pastorales qui ont pour objet l’exploitation en commun et la vente, sous forme de beurre ou de fromage, du lait produit par les vaches réunies en troupeau. Un sous-inspecteur des forêts, M. Calvet, s’est dévoué à cette œuvre avec une ardeur et une intelligence qui lui ont déjà mérité une grande médaille de la Société centrale d’agriculture. Si cette tentative réussissait, un grand pas serait fait dans la voie de la restauration et du reboisement des montagnes, mais il ne faut pas se dissimuler que ce ne sera pas trop des efforts de tous pour vaincre l’inertie et l’ignorance des populations montagnardes.

Si maigres qu’en soient les produits, les communes tiennent à leurs pâturages et résistent d’autant plus énergiquement à toute réglementation que ceux qui profitent le plus de ces abus sont précisément les personnages les plus riches et les plus influons, ceux avec lesquels l’autorité préfectorale se croit obligée de compter pour assurer le succès des élections. Ils sont entretenus dans leurs résistances par les coureurs de popularité qui exploitent à leur profit les passions locales et se font les interprètes des doléances des populations. Il est fort difficile à un ministre, surtout sous le régime du suffrage universel, de passer outre à ces réclamations et de ne pas céder à des objurgations qui vont quelquefois jusqu’à la menace. Et cependant le salut de nos montagnes, et par contre-coup