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Il ne faut pas se dissimuler qu’il s’agit d’une entreprise considérable qui coûtera peut-être plusieurs centaines de millions, mais d’où dépend le salut de plusieurs départemens et le bien-être de nombreuses populations; d’une entreprise plus utile à tous égards que la création de beaucoup des lignes de chemins de fer qui figurent sur le programme du ministre des travaux publics et qui de longtemps n’auront rien à transporter. L’importance des intérêts en jeu ne permet pas qu’on en vote les mesures d’exécution au pied levé, comme on a fait pour la loi actuelle, elle veut au contraire qu’on s’entoure de tous les renseignemens susceptibles d’éclairer la question, et qu’une étude d’ensemble précède toute disposition législative. Cette étude exigera le concours de plusieurs ministères : de celui de l’intérieur à cause des intérêts communaux engagés dans cette affaire, de celui des travaux publics auquel incomberait naturellement la construction des travaux d’art dans les vallées et l’ouverture des canaux d’irrigation, et de celui de l’agriculture et du commerce pour l’exécution par l’administration forestière des reboisemens et pour la mise en valeur des terrains dans les montagnes. Il serait donc nécessaire de nommer une commission composée de membres pris dans ces différens ministères, mais en dehors des administrations centrales, pour préparer, après une enquête minutieuse, un nouveau projet de loi qui deviendrait en quelque sorte le code du reboisement des montagnes en France. Une fois cette loi promulguée, il ne faudrait pas qu’elle restât une lettre morte, et, quelles que fussent les résistances qu’elle pourrait rencontrer, il faudrait passer outre, dussent les députés qui l’auraient votée encourir l’impopularité auprès de leurs électeurs.

Le bien ne se fait jamais facilement; c’est le plus souvent par la contrainte que les mesures les plus salutaires ont été imposées aux populations. Lorsque Colbert présenta la belle ordonnance de 1669 sur les forêts, il rencontra dans le public et dans le parlement une si vive opposition qu’il fallut un lit de justice pour en obtenir l’enregistrement. Cette ordonnance cependant a mis fin aux dilapidations dont les forêts avaient jusqu’alors été l’objet; et c’est à elle que nous devons les massifs boisés que nous possédons encore; elle est devenue la base du code forestier qui nous régit et dont aujourd’hui personne ne se plaint. L’exemple de Colbert ne serait-il pas fait pour tenter quelqu’un de nos hommes d’état? Et cet exemple, s’il est suivi en France, devrait l’être bien plus encore dans d’autres pays, car la revue que nous venons de passer nous a montré que, partout où l’homme a dilapidé les biens que le Créateur a mis à sa portée, il n’a récolté que la ruine et la désolation.


J. CLAVE.