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synthèse créatrice unique dont les procédés demeurent encore inconnus, tant ceux qui ont été invoqués sont obscurs et problématiques, Claude Bernard arrive à une étude plus physiologique. Abandonnant la chimie de toutes les substances protéiques, où il ne fait que traduire les opinions qui lui viennent d’autrui, il aborde les propriétés réellement vivantes du protoplasme. « Le protoplasme, dit-il, agent des phénomènes de création organique, ne possède pas seulement la puissance de synthèse chimique que nous avons examinée en lui; pour mettre en jeu cette puissance, il doit posséder les facultés de l’irritabilité et de la motilité. Il peut en effet réagir et se contracter sous la provocation d’excitans qui lui sont extérieurs, car il n’a en lui-même et par lui-même aucune faculté d’initiative. Les phénomènes de la vie ne sont pas la manifestation spontanée d’un principe vital intérieur, elles sont, au contraire, le résultat d’un conflit entre la matière vivante et les conditions extérieures. La vie résulte constamment du rapport réciproque de ces deux facteurs, aussi bien dans les manifestations de sensibilité et de mouvement, que l’on est habitué à considérer comme étant de l’ordre le plus élevé, que dans celles qu’on rapporte aux phénomènes physico-chimiques. » Claude Bernard ajoute cette définition de l’irritabilité : « D’une façon générale, l’irritabilité est la propriété que possède tout élément anatomique (c’est-à-dire le protoplasme qui entre dans sa constitution) d’être mis en activité et de réagir d’une certaine manière sous l’influence des excitans extérieurs. »

Il y a dans cet exposé deux faits, l’irritabilité du protoplasme et sa passivité. Sur ce dernier point quelques réserves sont immédiatement nécessaires. Dire que la vie résulte d’un conflit de la matière vivante et du monde extérieur, c’est renouveler le système de l’incitation de Brown ou celui de l’irritation de Broussais. Malgré les amendemens que l’on pourra faire subir à ces idées systématiques, le principe n’en restera pas moins faux. La vie vient du vivant, et tout entière; elle ne saurait être un simple conflit avec l’extérieur, car pour qu’un tel conflit provoque des manifestations vitales, il faut que la matière qui entre en conflit soit vivante au préalable. De ce que les conditions extérieures excitent l’irritabilité et la motilité, il n’en suit pas que celles-ci soient dues ou subordonnées à ces conditions ; elles appartiennent à la matière vivante et sont, dans leur source, indépendantes du milieu extérieur. On ne peut les dire uniquement et toujours passives; elles sont en état continu d’action et de sensation. La substance vivante se sent elle-même, et jamais n’est en repos absolu. Ses mouvemens intimes sont incessans, et en même temps elle sent le monde extérieur, réagit et se meut suivant les impressions reçues. Que serait la vie, un vain mot, si elle n’était qu’un conflit? Un conflit peut-il déterminer la vie alors