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de Rocroy, l’autre pour la duchesse de Montpensier, la petite-fille d’Henri IV, la nièce de Louis XIII, la cousine de Louis XIV. Voilà une liste d’abonnés où la qualité suppléait au nombre. Nous apprenons la chose par les lettres de Boursault lui-même. Une de ces lettres, adressée à Son Altesse Royale Mademoiselle, fait allusion à ce numéro où il est question de la maladie de la reine mère et de la victoire navale remportée par le duc de Beaufort. Boursault est bien sûr que tout ce qui concerne la reine mère aura intéressé Mademoiselle, dont les bons soins ont tant contribué à la guérison de l’auguste malade; mais le récit de la victoire de M. de Beaufort, « bien qu’il renferme une description assez particulière, » lui aura-t-il procuré le même plaisir? Ce doute le tourmenterait peut-être, s’il ne connaissait l’art de s’en débarrasser cavalièrement : « Après tout. Mademoiselle, quand je ne vous divertirai pas, je ne ferai rien contre ce que je vous ai promis. Je ne puis rien donner à Votre Altesse Royale qui soit digne d’Elle, si je ne l’emprunte d’Elle-même. Les beautés médiocres ne sont pas pour les esprits sublimes, et je désespère de pouvoir jamais rien faire d’achevé, à moins que vous ne m’offriez des occasions de parler de vous. » Le moyen de se plaindre après des explications comme celles-là! Je suis sûr, pour ma part, que le duel du chrétien et du More aura intéressé la grande Mademoiselle autant qu’il divertissait le grand Condé.

La princesse palatine du Rhin, Anne de Bavière, qui deux années auparavant (1663) avait épousé le duc d’Enghien, fils du prince de Condé, recevait aussi des gazettes de Boursault. On l’appelait simplement Mme la duchesse, comme on appelait son mari M. le duc. Parmi les lettres de Boursault, j’en trouve une qui porte cette adresse : A Son Altesse Sérénissime Madame la Duchesse, et qui fait mention des feuilles hebdomadaires à elle envoyées par l’aimable rimeur. Cette lettre, qui n’a point de date, est évidemment de l’année 1666, puisqu’il y est question de la mort de la reine mère arrivée le 20 janvier. Je demande la permission de la citer tout entière pour la double indication qu’elle renferme : elle prouve d’abord l’activité de Boursault comme gazetier du grand monde, elle montre aussi les naïves libertés du poète, en assurant, ce me semble, un brevet d’affabilité assez rare à celle qui ne s’en offusquait point. La duchesse était grosse et sur le point d’accoucher. Voici cette lettre :


Madame,

Voici la troisième semaine que je ne vous mande rien de gai et Dieu sait si cela m’ennuie. Toutes les fois que j’écris des lettres qui sont