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le plus discret, le plus respectueux des hommes; au fond, c’est un méchant et un traître. Circonvenue par ses perfidies doucereuses, Bélise finit par consentir à une proposition qui dès le premier mot lui faisait horreur. La voilà remariée, et ce Léonce, qui semblait un amant si résigné, n’est pour elle qu’un abominable despote. Six mois après, Agénor revient en France ; il n’était pas mort à la bataille de Raab, il était tombé aux mains d’un pacha qui l’avait emmené captif en Turquie. Dès qu’il apprend que sa femme est l’épouse de Léonce, il n’a plus qu’une idée en tête : tuer le faux ami, l’imposteur, le misérable qui lui a volé son trésor. Léonce a trompé Bélise pour l’amener à violer sa foi. La société n’a pas de tribunal qui puisse faire justice d’une telle infamie. Il faut que le criminel meure de la main de celui qu’il a outragé. Agénor provoque Léonce en duel et le tue.

Voilà des scènes assez vives ; eh bien ! ce n’est que le prologue du drame. Le meurtrier de Léonce, poursuivi par la justice, se hâte de prendre la fuite, emmenant Bélise avec lui. Ils arrivent à Lyon, descendent jusqu’à Marseille, s’embarquent pour l’Italie et se rendent à Venise, où le fugitif espère regagner la faveur de Louis XIV en servant le doge contre les Turcs dans la guerre de Candie. Cependant avant d’offrir son épée à la république, il a des comptes à régler à Constantinople. L’officier turc entre les mains duquel il est tombé à la journée de Raab est un homme généreux qui a conçu pour son prisonnier un sentiment d’amitié tout chevaleresque. Oliman-Pacha ne peut se passer d’Agénor, et c’est pour le garder auprès de lui qu’il met sa rançon à un prix inaccessible. A la longue pourtant, comme il le voit consumé de tristesse et en danger de mourir, il lui a permis de retourner en France pour y retrouver sa femme et se procurer l’argent de son rachat. Le gentilhomme français, esclave de sa parole, a vendu à la hâte tout ce qu’il pouvait vendre ; il s’embarque donc pour Constantinople avant de rien conclure à Venise et va remettre à Oliman-Pacha le prix de sa délivrance. Le Turc, ravi de le voir, et touché de sa fidélité, non-seulement refuse d’accepter sa rançon, mais le comble de présens magnifiques. Le pacha et le gentilhomme se quittent avec des protestations d’éternelle amitié. Revenu à Venise, Agénor ne tarde point à gagner la faveur du conseil des Dix. Son nom, son courage, la part qu’il a prise à l’expédition de Hongrie, celle qu’il prend tous les jours dans l’île de Candie aux combats contre les Ottomans, le désignent pour les postes d’honneur. Il est chargé de garder un port qu’il vient d’enlever aux Turcs et que les Turcs veulent reprendre. Attaqué par les galères ennemies, il les coule à fond ou les capture, si bien que la garnison électrisée porte aux nues le vainqueur des infidèles, le dompteur des barbares. La haine du Vénitien pour