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ce je ne sais quoi de doux et d’intime que le christianisme ajoute à la vertu antique.

Le roi fut très content de ce discours, il se le fit relire plusieurs fois, y trouvant pour lui-même instruction et plaisir. C’est du moins ce que nous affirme le fils de l’auteur, dans une des notices qu’il a consacrées à son père. Le fils de Boursault va bien plus loin; à l’en croire, le roi aurait été si charmé de l’Étude des souverains que l’idée lui serait venue d’attacher Boursault à l’éducation du dauphin en qualité de sous-précepteur. Lui, Boursault, sous-précepteur du dauphin, auxiliaire de M. de Montausier, collaborateur de Bossuet! voilà des titres bien effrayans pour un homme qui n’a pas fait d’études classiques. L’honnête Boursault, en écrivant ce discours, a suivi tout bonnement son instinct littéraire, sans aucune pensée d’ambition. Il sent bien qu’il ne sera pas à la hauteur d’un tel office. Ses scrupules lui ordonnant de s’effacer, le roi, on le pense bien, ne le maintient pas sur sa liste; M. de Montausier, malgré la sympathie que la personne de l’écrivain lui inspire, n’insiste pas davantage, et voilà comment Boursault, faute de savoir le latin, a manqué sa fortune.

En éprouva-t-il un chagrin bien profond? J’ai peine à le croire, bien que son fils le théatin nous le montre « désespéré de l’aveu qu’il est obligé de faire de son malheur et de son ignorance. » J’imagine, au contraire, que les lettres, le loisir, la liberté, lui étaient d’avance une consolation. Plus tard, dans un sentiment de regret filial et de culte domestique, le bon théatin, racontant cette histoire, ne se console pas si aisément : « Il n’y eut, dit-il, que son seul défaut de latinité qui fut un obstacle à un honneur et à une fortune si considérable ; tant la négligence des pères à faire instruire leurs enfans est condamnable et ruineuse[1] ! »

Ruineuse, c’est trop dire. Si l’histoire est vraie, Boursault garde l’honneur d’avoir été désigné un instant pour un poste de haute confiance, où il fut remplacé par un des plus savans hommes du siècle, le futur évêque d’Avranches, Daniel Huet.

  1. J’emprunte ces paroles à la préface de l’édition des Lettres de Boursault publiée en 1709. D’après cette préface, ce ne serait pas Louis XIV lui-même qui aurait songé à Boursault pour la place de sous-précepteur du dauphin, ce serait le duc de Montausier. L’avertissement placé en tête de l’édition du Théâtre de feu M. Boursault nous dit au contraire que l’idée est venue du roi; bien plus, l’auteur affirme que le roi avait déjà nommé Boursault sous-précepteur du dauphin, quand Boursault se vit obligé de confesser son ignorance. Or, nous savons que ces deux écrits sont du même auteur, c’est-à-dire du fils de Boursault. D’où vient donc la différence entre la première version et la seconde? Probablement de ce que l’éditeur, publiant la préface des Lettres du vivant de Louis XIV (1709), était obligé à plus de discrétion; en 1725, il put exprimer plus librement ce qu’il avait recueilli de ses traditions de famille. Après tout, le fond est le même : une éclatante occasion de fortune, manquée « faute de latinité.