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naturellement l’idée d’en faire part à Boursault, puis, à peine guéri du mal qui avait failli l’emporter, il revint à sa philosophie. Desbarreaux malade avait certaines dispositions chrétiennes. Desbarreaux bien portant redevenait athée. C’est alors que Boursault lui adressa la lettre qui porte dans son recueil la suscription suivante : A Monsieur Desbarreaux, qui ne croyait à Dieu que lorsqu’il était malade. Il lui rappelle ce beau sonnet écrit sous la main de la mort, « ce sonnet, lui dit-il, qui vous a acquis autant de gloire qu’il vous causera un jour de confusion, d’avoir été assez habile pour si bien penser, et assez malheureux pour si mal vivre. » Il l’avertit, il le réprimande, d’abord au simple point de vue de l’honnêteté mondaine, puis au nom de la vérité divine : « Dites-moi, je vous prie, si un homme qui aurait dit à un autre ce que vous dites à Dieu, et qui lui manquerait aussi indignement de parole que vous lui en manquez, serait honnête homme ? » Cette lettre affectueuse et pressante, il la continue au moyen d’une fable intitulée le Faucon malade, qu’il emprunte au recueil de Phèdre. Il la termine enfin par un commentaire d’une assez vigoureuse éloquence : « Un père de l’église, écrivant autrefois à un chrétien qui avait vieilli dans le péché, compare la miséricorde de Dieu à un fleuve qui n’a pu résister à une violente gelée. On est en assurance sur sa glace tant qu’on ne lui fait porter que jusqu’à un certain poids, mais il est dangereux de la trop charger : l’abîme est dessous. »

Il résulte de plusieurs passages de cette lettre que Desbarreaux était perdu, que ses jours étaient comptés; or, comme le célèbre libertin est mort en 1673, la missive de Boursault doit appartenir à cette même année ou tout au plus à l’année précédente. Ou y voit le premier indice du changement de direction que je signalais tout à l’heure dans les idées de Boursault; on y trouve aussi un renseignement précieux pour l’histoire de la poésie française. Ce sonnet de Desbarreaux était connu des contemporains puisqu’il avait acquis tant de gloire à l’auteur, suivant le témoignage de Boursault; mais c’est Boursault qui un des premiers le transmit à l’avenir, en le publiant dans ses lettres plus de vingt ans après la mort de l’impie. Lisez l’article Desbarreaux dans le Dictionnaire de Bayle, vous verrez le savant critique faire honneur de cette publication d’abord à un ouvrage anonyme imprimé en Hollande, puis aux Lettres de Boursault. C’est par ces Lettres que le fameux sonnet fit fortune aux dernières années du règne de Louis XIV et entra désormais dans la tradition.

Lorsque Boursault adjure si vivement Desbarreaux de revenir une bonne fois à Dieu et de mourir chrétiennement, on devine en lui l’homme nouveau, je veux dire le père de famille plus grave, plus attentif aux choses de l’âme, plus préoccupé des devoirs de la