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LA RELIGION DANS ARISTOPHANE.

magogue qui maintenant parle en maître chez les morts d’en haut et y est le premier des coquins… »

Il est maintenant facile de conclure sur la nature de l’imitation des Éleusinies dans Aristophane. Il a eu grand soin d’y faire dominer la comédie. Il ne voulait pas qu’on prît cette imitation trop au sérieux ; c’est peut-être ce que l’esclave Xanthias fait entendre au public, quand il dit des initiés au moment où ils entrent en scène : « Ils chantent Iacchus comme Diagoras, » Diagoras, un athée, dont l’impiété au sujet des mystères était restée célèbre. Est-ce donc qu’Aristophane veut faire une parodie ? Nullement ; il entend seulement avertir que ces mystères qu’il fait célébrer par le chœur comique n’ont aucune réalité, que la part de l’imagination y est très grande ; et c’est, au fond, une manière de protester de son respect. Une parodie comme une imitation trop exacte serait une profanation, et il se garde bien de la commettre en face de spectateurs dont la plupart se sont fait initier. Il ne représente donc, comme nous l’avons d’abord remarqué, que certaines parties extérieures et publiques de la fête sacrée, et l’image qu’il en donne est très modifiée par un mélange d’élémens comiques. Quant à la partie secrète et mystérieuse, elle devient pour lui ce qu’il appelle les mystères de Bacchus, dieu du théâtre, c’est-à-dire la représentation de sa propre pièce. Voilà le dernier mot de cette reproduction des Éleusinies.

Nous avons dit comment Aristophane a voulu et pu introduire cette fête nationale et sainte entre toutes dans une comédie dont la pensée était particulièrement morale et patriotique. Nous voici ramené à la conclusion générale où nous conduisait déjà l’examen de la religion populaire chez le même poète. Il n’y a chez lui ni religion ni foi particulièrement vive. Il ne ressemble en rien au poète philosophe Épicharme transformant le théâtre de Syracuse en une école où il propage sa doctrine tout en créant la comédie. Aristophane, donnant ses pièces chez lui, à Athènes, n’a rien du philosophe ni de l’apôtre ; c’est un Athénien : il l’est par son patriotisme et son attachement aux principes essentiels de la constitution ; il l’est par son esprit, libre et fin, par son art aussi hardi que délicat. Peut-être suffisait-il de le dire, sans essayer de le prouver ; mais comment éviter les études de détail et les analyses, si l’on ne veut plus se contenter de regarder les artistes grecs à travers le nimbe un peu vague où les place de confiance notre admiration ?

Jules Girard.

tome xxx. — 1878.27