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au sujet de la Bessarabie ! Ces amertumes s’effaceront comme par enchantement le jour où le cabinet de Saint-Pétersbourg jugera utile de consoler et d’enflammer le bon peuple roumain, par une lettre de change tirée sur la Transylvanie et la Bukovine…

Ce n’est pas une des choses les moins bizarres de notre temps, si riche en niaiseries de tous genres, que la confiance superbe inspirée maintenant à tant d’esprits naïfs par cette fantasmagorie d’un système de petits états indépendans en Orient, alors que dans l’Occident le même système de petits états indépendans vient de s’écrouler d’hier et sous nos yeux d’une manière si lamentable. Des états antiques et glorieux comme le Hanovre, la Saxe, les Deux-Siciles, la Toscane, n’ont pu résister un seul instant au tourbillon des grandes agglomérations qui est devenu la fatalité de notre siècle ; la Belgique, la Hollande, la Suisse, tremblent à l’heure qu’il est pour leur lendemain ; et c’est à un pareil moment que des publicistes, des hommes politiques se sont mis à tout espérer de la formation de principautés diverses et ondoyantes sur les ruines de l’empire ottoman, à prêter même à de semblables créations la vertu magique de barrer « définitivement » au colosse russe le chemin de Constantinople ! Nulle part cependant un vaste et puissant organisme politique (tout le contraire d’une constellation de petits états indépendans), nulle part l’hégémonie d’une race privilégiée et ayant le sentiment de sa supériorité militaire et gouvernementale, ne sont plus indiqués, plus impérieusement commandés que dans ces régions flottantes du Danube et du Balkan, au milieu de cette bigarrure de nationalités, de religions et de civilisations, parmi des peuplades si peu développées, si peu homogènes, si hostiles les unes aux autres, et qui laissées à elles-mêmes s’entredéchireraient immanquablement, et deviendraient immanquablement aussi la proie du voisin. L’histoire s’est essayée plus d’une fois à l’établissement de ce cadre indispensable ; on peut dire que les apparitions successives dans le courant des siècles de phénomènes tels que la Grande-Moravie, la Grande-Serbie, le royaume de Saint-Étienne n’étaient que les premières ébauches d’un système devenu aujourd’hui plus que jamais une nécessité ethnographique et politique sur ce point de notre vieux continent, et qui sait si des événemens récens et considérables, quoique bien douloureux, n’ont pas mûri, à cet égard, une combinaison aussi salutaire pour l’est que rassurante pour l’occident ? Que cette chance de salut toutefois est encore lointaine et douteuse ! que le péril au contraire est-imminent et presque inéluctable ! Et comment en vouloir à la diplomatie européenne d’avoir essayé, depuis le temps de Vergennes jusqu’à ces derniers jours, de retarder autant que possible l’effrayante échéance ; comment lui faire un crime d’avoir préféré