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trace d’une protection veillant sur ses jeunes années. S’il lui arrive une fois de nommer sa mère dans ses lettres, c’est seulement pour dire qu’elle n’a jamais quitté sa ville natale, tandis que son père a couru le monde et rôdé partout. D’ailleurs, aucun souvenir de cette mère, dont il semble ne garder qu’une image très lointaine. Nul guide, nul maître auprès de l’enfant. Le père a un autre emploi de sa richesse, il entend ne pas en consacrer la moindre part à l’éducation de ce petit drôle. Qu’il grandisse au hasard avec les bambins de son âge et les gens de la maison. C’est bien assez pour lui débrouiller l’esprit. A quoi bon des maîtres de latin, et même des maîtres de français? Est-ce que le champenois ne suffit pas? Ainsi a fait le père en son temps, ainsi fera le fils à son tour. Quand le moment viendra de prendre le sabre ou le mousquet, il n’en sera pas plus manchot qu’un autre pour avoir négligé la grammaire. Telles étaient les raisons que cet excellent père se donnait à lui-même quand il lui arrivait par hasard de vouloir se justifier.

Comment se manifesta chez l’enfant une vocation toute différente? Comment le fils du guerrier (c’est le titre que Boursault lui donne) se trouva-t-il un jour envoyé à Paris? Est-ce quelque personne influente du pays, qui, voyant cette bonne petite physionomie, cet esprit vif et enjoué, déjà si amoureux des lettres, engagea le père à ne pas lui imposer une vie de fainéantise? Ici, on pense naturellement à l’un de ces grands personnages avec qui Boursault entretiendra plus tard une correspondance assidue. Mussy-l’Évêque dépendait du diocèse de Langres ; son nom en garde le souvenir, et aujourd’hui encore les touristes ne manquent pas d’y visiter l’ancien château des évêques de Langres, le seul monument de la petite ville champenoise. Or, un grand nombre des lettres de Boursault sont adressées à Mgr l’évêque et duc de Langres, pair de France. Ne serait-ce pas ce duc-évêque, alors simple abbé, ou l’un de ses prédécesseurs, qui aurait décidé le père à choisir pour l’éducation de son fils un autre horizon que celui de sa petite ville? Quoi qu’il en soit, Edme Boursault arrive à Paris en 1651. Il a treize ans à peine. Qui l’a amené? qui prend soin de lui? quel maître va diriger ses études? On ne sait.

Le premier qui ait parlé du jeune chercheur d’aventures, l’auteur de l’Avertissement placé en tête de l’édition de son théâtre par sa petite-fille Hyacinthe Boursault, résume ces années d’apprentissage de la façon la plus brève et la plus énigmatique : « Il ne parlait, nous dit-on, que franc-champenois et ne savait par conséquent que fort grossièrement la langue française. Cependant en peu de mois ce jeune homme sut de lui-même se tirer de cette barbarie, et il parvint en moins de deux ans à pénétrer toutes les