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L’ÎLE DE CYPRE.

avait absorbé toutes les contrées jadis soumises aux Mèdes et aux Babyloniens. Sous Cambyse, l’héritier de Cyrus, il conquit l’Égypte sur le fils d’Amasis, Psamménit. La Phénicie et Cypre n’avaient pas attendu la prise de Memphis pour se donner au futur vainqueur ; sous Darius, elles furent comprises ensemble dans la cinquième satrapie ; mais, sous la suprématie de la Perse, les villes de Cypre gardèrent leurs rois, quelques-uns phéniciens, la plupart grecs d’origine et de langue.

Cypre se joignit en 502 à la révolte des Grecs d’Ionie contre le joug des Perses ; mais l’élément phénicien refusa de s’associer au mouvement et en prépara ainsi l’échec, que consommèrent les jalousies des villes et des chefs. Les victoires même de Cimon en Cilicie et sur les côtes de Cypre ne réussirent pas à libérer l’île ; c’est probablement qu’elle se souciait peu de son indépendance, et que la population grecque ne prêtait aux efforts des Athéniens qu’un bien tiède concours. Trop d’intérêts l’attachaient au continent voisin ; elle ne se fût pas exposée volontiers à s’en voir fermer les ports. Évagoras lui-même, malgré ses rares talens et l’affaiblissement de la monarchie des Achéménides, ne réussit pas non plus dans son entreprise ; il tint en échec pendant plusieurs années toutes les forces du grand roi, des armées et des flottes considérables ; mais il dut finir par renoncer à détacher Cypre de l’empire perse. Passionné pour cette Athènes qu’il avait aidée à se relever après ses désastres et qui lui avait accordé en retour le droit de bourgeoisie, Évagoras était plus grec que son peuple ; tout pénétré d’élémens orientaux, celui-ci, par son écriture, par ses arts, par ses mœurs, par sa religion, tenait de trop près à l’Asie pour s’en laisser aisément détacher au nom d’une abstraction, le patriotisme hellénique.

La conquête de l’Asie et la destruction de l’empire perse par Alexandre eurent l’air de rompre ces liens ; mais, sous d’autres apparences, ils se reformèrent et se renouèrent bientôt d’eux-mêmes. Cypre fut disputée pendant quelque temps entre Antigone et Démétrius d’une part, et de l’autre Ptolémée Soter. Depuis l’an 295, elle resta à l’Égypte, malgré quelques tentatives des Séleucides pour la ressaisir et en refaire un appendice de la Syrie. Afin d’en être plus sûrs et d’en avoir mieux en main toutes les ressources, les Lagides donnèrent à leur conquête une organisation nouvelle ; ils supprimèrent les anciens pouvoirs locaux et confièrent Cypre à une sorte de vice-roi auquel les inscriptions donnent le triple titre de général, d’amiral et de grand-prêtre de l’île ; une force militaire considérable était à sa disposition. Quand la monarchie égyptienne s’affaiblit par les fautes et les vices d’une dynastie frappée de décadence, Cypre devint à plusieurs reprises une sorte de royaume sé-