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parole qui fasse tort à Boursault. Molière y est traité avec une sorte de furie, on dirait un jansénisme farouche ; Corneille y est l’objet de critiques amères, et Racine lui-même, malgré Esther et Athalie, n’y est point épargné. Boursault est le seul dont les erreurs soient combattues avec une haute marque d’estime. C’est bien de lui en effet qu’il s’agit aux dernières pages, c’est bien lui qui est signalé comme voulant a réformer à fond la comédie » afin d’y amener, à la faveur du plaisir, « l’instruction sérieuse des rois et des peuples. » Intention louable, dit Bossuet, mais étrange illusion. D’après celui qui a écrit la Politique tirée de l’Écriture sainte, la parole de Dieu peut seule donner aux rois et aux peuples les leçons dont ils ont besoin : « pour les instructions du théâtre, la touche en est trop légère[1]. »

Bossuet devait tenir ce langage et Boursault devait répondre comme il l’a fait. Sa réponse aux Maximes et réflexions sur la comédie, c’est la comédie d’Ésope à la cour. Touche légère, si l’on veut, inspiration du moins aussi solide que charmante, aussi hardie que spirituelle, puisque des passages entiers (la scène de l’athée par exemple et les réflexions de Crésus sur le néant du prestige royal) ont dû être supprimés au théâtre comme une peinture trop libre de la réalité. J’ajoute surtout : inspiration plus efficace que ne le croit le terrible évêque. Une vingtaine d’années plus tard, les passages supprimés sous Louis XIV ayant été rétablis sous le régent, Montesquieu alla un soir entendre la comédie de Boursault et en reçut une, impression profonde qu’il résume en ces termes : « Je me souviens qu’en1 sortant d’une pièce intitulée Ésope à la cour, je fus si pénétré du désir d’être plus honnête homme que je ne sache pas avoir formé une résolution plus forte : bien différent de cet ancien qui disait qu’il n’était jamais sorti des spectacles aussi vertueux qu’il y était entré. C’est qu’ils ne sont plus la même chose[2]. »

Boursault, je l’ai annoncé, n’assista point aux effets que produisit sa dernière œuvre. Il ne sut ni les alarmes des uns ni les approbations des autres. S’il ne vit pas ses vers mutilés, ses tableaux rejetés dans l’ombre, il n’eut pas non plus le loisir de mettre la dernière main à son travail et le bonheur de recueillir ces cordiales sympathies dont l’interprète fut un jour Montesquieu. Tout en achevant sa comédie, il en préparait la mise à l’étude lorsqu’une maladie subite l’emporta en quelques jours. Il mourut le 15 septembre 1701, non pas à Montluçon, comme le disent tous ses biographes, mais à Paris, rue de Verneuil, non loin du quai Malaquais, où se trouvait la maison des théatins[3]. Son fils, Edme-Chrysostome,

  1. Bossuet, Maximes et réflexions sur la comédie.
  2. Montesquieu, Pensées diverses ; des Modernes.
  3. Cette rectification est due au savant historien de la patrie de Boursault,