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du Pacifique une colonie paisible et productive. Si nous voulons en rendre le séjour possible avec les élémens dangereux qui forment le fond de sa population, il faudra nous résigner à d’énormes sacrifices, nous préparer à des acquisitions coloniales, et peut-être nous résoudre, — à l’exemple de l’Angleterre, mais non sans répugnance, — à l’extermination d’une malheureuse race. L’étude qu’on va lire a pour objet de faire connaître les détails de la dernière révolte, d’indiquer les mesures qui ont été prises par le gouvernement pour la combattre, de mettre en lumière les causes qui ont pu la motiver, et d’engager les personnes compétentes à chercher avec nous une solution aux problèmes multiples qu’elle a soulevés.


I

C’est le 12 juillet dernier, — par un journal anglais, — que l’on apprit, à Paris, la nouvelle de l’insurrection canaque. L’étonnement fut très pénible, d’autant plus pénible que les premiers détails de la révolte nous étaient transmis par un télégramme étranger. La stupeur augmenta lorsqu’on sut que le drame néo-calédonien n’avait pas eu de prologue, et que nos compatriotes avaient été pris à l’improviste. Personne, hélas ! ne peut avoir oublié en France le rôle joué par « les surprises » dans nos récens désastres ; il était permis d’espérer qu’après un si grand nombre de cruelles leçons nous ne serions plus les victimes de notre imprévoyance !

Et pourtant qui songeait aux Canaques, il y a peu de jours encore, et à qui l’idée fût-elle venue que des sauvages seraient assez osés pour attaquer des postes de gendarmes et des établissemens agricoles ? Tout le monde les croyait sinon satisfaits de notre occupation, du moins hors d’état de nuire. On se figurait volontiers que les plus indépendans d’entre eux, nus, farouches, le casse-tête à bec d’oiseau et la sagaie au poing, erraient dans les parties montagneuses de l’île, que les plus civilisés se vautraient ivres dans les ruisseaux de Nouméa. A Paris, dans les ministères, et à Nouméa, au palais du gouverneur, nul ne croyait à la possibilité d’un soulèvement. Il est intéressant de citer à ce sujet les propres paroles du gouverneur de la Nouvelle-Calédonie dans son dernier rapport au ministre de la marine :

« On vivait ici avec une insouciance incroyable, dans des habitations isolées, dans des postes ouverts de tous côtés, dont les abords n’étaient même pas découverts ; on regardait les Canaques comme de grands enfans, parfois boudeurs, mais toujours inoffensifs ; ils jouissaient d’une confiance, d’une intimité même vraiment étranges.