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sous une pluie torrentielle, nous arrivâmes à l’entrée d’une vallée. Nous étions muets et harassés. — Il était cinq heures du matin. Là s’élevaient de magnifiques bouquets d’arbres que les guides nous montrèrent d’un air mystérieux et terrifié comme étant l’emplacement de la tribu ennemie. Nous descendîmes dans la vallée en traversant des plantations de cannes à sucre, de bananiers et de cocotiers. C’était en effet dans ce délicieux nid de verdure que se trouvait l’un des villages de nos féroces ennemis. Selon l’usage, il fut attaqué à la baïonnette ; les habitans furent assommés à la sortie de leurs huttes, dont l’ouverture est basse et étroite. Quelques Canaques défendirent vaillamment leur vie, d’autres prirent la fuite et formèrent une bande de véritables démons qui, dès le lendemain, dans un retour offensif, harcela nos troupes victorieuses. Ces dernières les tenaient à distance, mais parvenaient à peine à les troubler par le feu de leurs carabines. Nous n’avions vu dans le village qu’un horrible trophée, composé d’ossemens provenant des victimes du cotre le Secret, et qui semblait avoir été placé à dessein pour attirer les regards. Au milieu d’une place, devant l’habitation d’un chef, une perche, longue de plusieurs mètres et plantée en terre, portait trois crânes sanglans auxquels adhéraient encore quelques lambeaux de chair. »

Cette sévère leçon, l’absorption, sans métaphore, du féroce Gondon par des cannibales comme lui, et la soumission du vaniteux Tetima, firent régner pendant dix ans le calme le plus absolu dans la colonie. Tout à coup, le 2 juillet de cette année, sans que l’on se doutât de rien, sans que l’on eût été prévenu par aucun indice, on apprenait avec stupeur à Nouméa que cinq gendarmes avaient été massacrés dans leur brigade aux environs d’Ourail, à vingt lieues à peu près du chef-lieu. Il y avait eu cependant des assassinats antérieurs à ceux du 2 juillet, et auxquels on avait eu le tort d’attacher trop peu d’importance. C’est ainsi que, dès le 19 juin, on avait été informé à Nouméa qu’un crime avait été commis, à Ouaméni, sur la propriété d’un M. Dezanaud, située sur la route de Bouloupari à Ourail. Les victimes étaient un nommé Chêne, gardien de la station, — une femme indigène, qui habitait avec lui, — et deux enfans. De l’examen des cadavres, il résultait que Chêne avait reçu un coup de hache en pierre qui lui avait fendu le crâne, et que la femme indigène avait été frappée à la tête au moyen d’un casse-tête, de ceux dits becs d’oiseau. Ce Chêne était un libéré qui avait pris avec lui, il y a plusieurs années, une femme indigène ; il en avait eu deux enfans. Fatigué de cette première femme, Chêne l’avait répudiée et était allé dans la tribu de Dogny en choisir une seconde. Malgré l’opposition des Canaques et les menaces qu’ils