Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/685

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surveillans tués sous ses yeux. Armé de son sabre et de son revolver, il a pu blesser mortellement huit de ses assaillans sans sortir de sa maison. Les bandits ont alors mis le feu à l’habitation, et lorsque le malheureux surveillant a voulu sortir pour ne pas être brûlé, il a été étendu sur le sol d’un coup de casse-tête. Trouvé le lendemain encore vivant par les nôtres, on espère le sauver.

Nous ne continuerons pas le récit de ces sinistres agressions. Bornons-nous à dire que de tous côtés succombèrent les colons et leurs familles. Les cadavres des infortunées victimes n’étaient même pas respectés ; les femmes subissaient un dernier outrage, puis ensuite étaient horriblement mutilées. Narrateur fidèle, nous ne pouvons passer sous silence qu’en deux circonstances les Canaques ont témoigné de la pitié. Une première fois, c’est un Néo-Calédonien, du nom de Charley, qui préserve de toute attaque un jeune homme, Henri Bull, respecté, aimé des indigènes, parce qu’il parle leur langage. La famille Artaud, composée de cinq personnes, a été sauvée par le seul fait de s’être trouvée réunie, par hasard, au protégé de Charley. A la Foa, un indigène a sauvé également la vie, à une femme canaque et à ses deux enfans.

Voici comment cette femme, du nom poétique de Camélia, a raconté le fait : — « A la pointe du jour, au moment où les habitans de l’hôtel allaient prendre leur café, une vingtaine de Canaques se présentèrent devant moi armés de haches et de longs couteaux ensanglantés : ils venaient du poste de la Foa, où cinq gendarmes avaient succombé. MM. Miller et Rousset furent les premiers frappés. Mon tour arrivait, lorsque j’eus l’heureuse idée de leur demander d’épargner mes enfans. — Viens alors avec nous dans la broussaille ! me dit l’un d’eux. — Même injonction fut faite à une autre femme indigène de l’île de Lifou. Cette femme disparut aussitôt dans les bois. Quant à moi, je suivis les Canaques, mais en passant sur la route nous rencontrâmes deux surveillans qui firent feu : deux indigènes tombèrent morts ; alors je me suis sauvée avec mes enfans. »

Lorsque les nouvelles des massacres, grossies, exagérées par la terreur, arrivèrent successivement au chef-lieu, la population devint affolée. Elle perdit complètement la tête lorsqu’une fausse rumeur lui fit croire que des bandes d’insurgés débouchaient dans la vallée et se dirigeaient sur le chef-lieu pour y mettre le feu… Le danger était grand en effet, car la population de Nouméa se trouve mêlée à des élémens qui ne sont pas de première pureté. Il était malheureusement permis de supposer que les Canaques étaient conduits par des transportés évadés qui, ayant été reçus par les tribus, leur auraient enseigné la tactique d’attaque européenne. Ainsi, à peine