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Pardonnez-moi, monsieur, si je m’explique un peu plus librement que je ne devrais. Ce n’est pas m’oublier que de parler de M. Despréaux comme je fais, c’est seulement oublier à qui j’en parle; et de peur qu’en me plaignant de lui vous n’ayez lieu de vous plaindre aussi de moi, j’impose silence à toute autre passion qu’à celle que j’ai d’être avec une estime très sincère, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

BOURSAULT.


Quand Boursault eut terminé cette lettre, il en fut tellement satisfait qu’il se dit aussitôt : Voilà ma préface. Il en retrancha seulement les complimens du début, les salutations de la fin, puis il y ajouta une protestation, très respectueuse, mais très libre, contre l’arrêt de cet auguste tribunal dont Boileau avait surpris la religion. Il n’ignore pas ce qu’on alléguera contre lui : il a voulu faire pis que n’avait fait M. Despréaux! Sa réponse est toute prête; quand on a une injure à venger, ne doit-on pas faire un peu plus de mal qu’on n’en a reçu? Ce n’est pas pour avoir « traduit sur le théâtre » celui qui met tant de monde « sous la presse, » non, ce n’est pas pour cela qu’on a interdit la représentation de sa comédie. On l’a condamné pour une cause mensongère : M. Despréaux, dans sa requête, a trompé le parlement. Qu’est-ce que cette accusation de l’avoir diffamé? « Ceux qui se donneront la peine de lire la pièce que je mets au jour verront bien que je n’y ai rien mis de diffamatoire contre son honneur ni contre sa personne, comme il le suppose dans l’arrêt qui fait défense aux comédiens de la représenter. Je ne sais rien de lui qui soit à son désavantage que ce que toute la France sait aussi : c’est-à-dire certaine liberté qu’il prend d’offenser des gens qui ne lui ont jamais fait de mal, et je pense qu’il n’y en aurait guère qui lui refusassent leur estime, s’il faisait un meilleur usage de son génie. »

Cette idée sera précisément la conclusion de la comédie de Boursault, la Satire des satires. A vrai dire, ce n’est pas une comédie, c’est une conversation comme la Critique de l’École des femmes, comme le Portrait du peintre, ou plutôt figurez-vous un essai de critique littéraire sous la forme du dialogue. Boursault aurait pu écrire en prose et directement ce qu’il pensait des premières satires de Boileau; il a mieux aimé le faire dire par un chevalier, homme de sens, homme de goût, l’un de ces honnêtes gens qui comprennent tout sans se piquer de rien, et par une personne de beaucoup d’esprit, la sage et bienveillante Emilie. Autour d’eux sont réunis quelques types de la société du temps, un marquis du