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lorsque le marquis proclame la juridiction infaillible et indiscutable de Boileau. Il proteste aussitôt, et ce qui est curieux, c’est qu’il proteste surtout au nom des raisons morales. Il en veut à la satire personnelle, injurieuse, blessante. Avant de s’incliner devant les sentences du poète, il demande que le poète ait des mœurs littéraires plus humaines.

BOURSAULT.


Les ouvrages d’esprit cessent donc d’être beaux,
Dès qu’ils sont attaqués par monsieur Despréaux i

LE MARQUIS.


Qui doute de cela, sieur Boursault?

BOURSAULT.


Moi, peut-être ;
Qui sais rendre justice et qui crois m’y connaître.
Il ne faut pas avoir l’esprit fort délicat,
Pour nommer l’un fripon, appeler l’autre fat.
Qu’a-t-il fait jusqu’ici qu’exciter des murmures?
Insulter des auteurs et rimer des injures?
Quelle honteuse gloire et quel plaisir brutal
De ne pouvoir bien faire à moins de faire mal!
A quel homme d’honneur a-t-il vu sa manie?
Qui jamais à médire a borné son génie?
Quand d’un si grand génie on a l’esprit doué,
Sur la même matière est-on toujours cloué?
A la satire seule est-il beau qu’on s’amuse?
Et n’en peut-on sortir sans égarer sa muse ?


Telle est l’inspiration principale de la comédie de Boursault. Il s’y mêle bien certaines critiques littéraires, les unes très frivoles, les autres assez sérieuses, critiques de détail qui eussent été à leur place dans quelque brochure intitulée remarques, jugemens, observations, suivant l’usage du temps, mais qui sont terriblement languissantes à la scène. Boileau, dans la satire du repas ridicule, a-t-il eu raison de faire figurer un long cordon d’alouettes pressées? mange-t-on des alouettes en été? n’est-ce pas la saison où elles couvent? Grandes questions que le chevalier traite en expert et dont Boileau, suivant lui, aurait dû tenir compte, puisqu’il place son repas au mois de juin. Croirait-on qu’une critique de cette force fit grand bruit dans le monde littéraire du temps, que Boileau prit la peine d’y répondre, et que les commentateurs de l’ancienne école, les Saint-Marc, les Saint-Surin, n’hésitèrent pas à la discuter? Saint-Marc, pour n’en citer qu’un seul, affirme que la faute, si faute il y a, est imputable au fut qui a donné le repas ou au cuisinier Mignot qui l’a préparé; le poète est hors de cause. C’est ainsi, dit-il, que Boileau lui-même se justifiait. Saint-Marc ajoute pourtant, car l’honnête scoliaste a ses scrupules en matière si grave : « Au fond,