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qu’il venait de subir ? Qu’il recommençât ? C’est vraiment alors qu’il eût justifié les déclamations dont on s’est fait un jeu d’accabler sa mémoire. Xerxès, depuis son retour en Asie, paraît n’avoir eu d’autre pensée que de développer les ressources intérieures de son empire et d’accroître, à l’exemple de Sardanapale, le bien-être de ses sujets. Des villes nouvelles s’élevaient de tous côtés en Phrygie, quand la main impie d’Artaban vint, au grand détriment de la Perse, arrêter court cette œuvre de réparation en tranchant les jours du fils de Darius.

Thémistocle suivit de près son généreux protecteur dans la tombe. Le bruit courut en Grèce que Thémistocle s’était empoisonné, le jour où le successeur de Xerxès, Artaxerce Longue-Main, lui laissa entrevoir la pensée d’employer ses services contre une patrie ingrate. Cette version n’est garantie, je crois, par aucun document sérieux venu jusqu’à nous ; le fait qu’elle avance n’a cependant rien d’improbable. Se tourner contre la patrie était, à l’époque où vivait Thémistocle, plus qu’un crime : c’était un sacrilège. Nous avons assurément sur le devoir qui nous lie à la communauté dont nous faisons partie des notions plus étroites et plus exigeantes que n’en eurent les chevaliers des temps féodaux, le connétable de Bourbon, Condé, le prince Eugène, le pur et chevaleresque Turenne lui-même. Il n’en est pas moins permis de se demander si nous attachons bien à ce mot magique de patrie le sens religieux et profond qu’y ont attaché les anciens. Rien de plus simple, rien de plus habituel, au temps où nous vivons, que de placer une portion de sa fortune, souvent la majeure partie, à l’étranger ; de confier ainsi le gage de son bien-être, le pain de sa vieillesse, l’avenir de ses enfans, à l’ennemi qu’il faudra peut-être combattre demain. Les barrières qui séparaient autrefois les peuples tombent l’une après l’autre. La diversité des langues, l’intolérance religieuse, les lignes de douanes, les exploitations jalouses des monopoles commerciaux, les obstacles qu’opposaient aux communications les montagnes, les fleuves, les déserts, ont dans le court espace de quelques années cessé de partager les habitans de notre petite planète en fractions rivales et le plus souvent hostiles. A la famille avait depuis longtemps succédé la tribu ; les tribus, en s’agglomérant, formèrent des nations ; les nations, à leur tour, vont-elles faire place à la grande unité du genre humain ? Ne marchons pas si vite : nous aurons probablement, pendant de longs siècles encore, à nous grouper autour d’un symbole sacré pour, nous défendre des abus de la force et pour tenir, à distance l’oppression étrangère. Quelque affaibli que puisse être de nos jours l’empire de ce dogme qui fut, à vrai dire, toute la vie des sociétés antiques, on ne saurait néanmoins considérer l’amour