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de ses anciennes rigueurs que pour les effacer de nouveau dans ses conversations et dans ses lettres. C’est ainsi que le 1er avril 1700 il écrivait à Brossette : « M. Boursault est, à mon sens, de tous les auteurs que j’ai critiqués, celui qui a le plus de mérite[1]

J’ai pourtant bien de la peine à croire que la préface de la Satire des satires et plusieurs des vers cités par nous tout à l’heure n’aient pas été comme un aiguillon secret pour Boileau. Une protestation si honnête, au nom de la morale, a dû certainement l’obliger à réfléchir, elle a dû inquiéter cette conscience austère et lui faire concevoir un idéal plus élevé de son art. Dès cette date, en effet, notez ce point trop peu remarqué, plus de satires personnelles, plus d’injures, plus de violences. C’est le moment où il se réconcilie avec Quinault, où il le compte, dit-il, « au rang de ses meilleurs amis, de ceux dont il estime le plus le cœur et l’esprit[2]. » C’est l’heure où apprenant que Chapelain, frappé d’apoplexie, est perdu sans retour, il en éprouve une affliction profonde. Mme de Sévigné est si frappée de sa douleur qu’elle écrit à sa fille : « Despréaux est attendri pour le pauvre Chapelain; je lui dis qu’il est tendre en prose et cruel en vers[3] ». Cruel en vers, non, il ne l’est plus; il se souvient des avertissemens de Boursault. Ses dernières satires sont consacrées à des sujets de doctrine, à des thèses de principes, comme toute la série des Épîtres. Même vigueur, même âpreté mordante, mais dans le domaine des idées pures; les cruautés meurtrières ont disparu.

Tels furent les rapports de Boursault avec les deux écrivains les plus redoutables de son temps. Engagé par l’étourderie de la jeunesse en des luttes imprudentes, berné, conspué, percé de coups dont un autre serait mort, il se relève, et, sans nul ressentiment, toujours souriant, toujours plein de grâce, il finit par noyer ces querelles d’auteur dans le large courant de sa bonhomie cordiale. Victime de « la seule mauvaise action que Molière ait commise », il n’en garde aucun souvenir, et, quand le glorieux maître est enlevé à la scène, c’est lui qui exprime harmonieusement le deuil de la patrie. Attaqué par Boileau, il riposte, mais il riposte en sage, en moraliste, il réussit à se faire entendre du fier censeur et l’oblige à devenir son ami, « un ami à outrance ». Saint-Marc Girardin, citant ce poète oublié dans ses leçons sur La Fontaine, n’a-t-il pas eu mille fois raison de résumer ainsi son jugement : Boursault a été tout à fait un homme d’esprit et un homme de cœur?


SAINT-RENE TAILLANDIER.

  1. Correspondance de Boileau dans l’édition de Saint-Surin, t. IV, p. 356. — Lettre à Brossette.
  2. Ibid., t. IV, p. 91. — Lettre à Racine.
  3. Lettre du 15 décembre 1673.