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futurs et il déploya dans la conduite de la guerre une perspicacité qui n’eut d’égale que son indomptable persévérance. Tenir son pouvoir de liens si précaires, se voir obligé de le raffermir chaque jour par la persuasion, et accomplir, par l’effort de son seul génie, de telles choses, ce sont assurément des titres à prendre rang à côté des plus grands monarques.


III

Xénophon prétendait que les factions auraient eu moins d’empire dans la république athénienne si les Athéniens avaient habité une île. Les raisons qu’il en donne, — nous jugeons superflu de les reproduire, — ne sembleraient peut-être pas sans réplique. Il est certain que les Corcyréens avaient l’avantage qui manquait aux citoyens d’Athènes et que Corcyre devait encourir la juste accusation d’avoir, la première, donné à la Grèce l’odieux spectacle des séditions et des massacres populaires. Rien ne sert d’être entouré d’eau quand on a au fond du cœur les passions de la guerre civile ; l’exemple du régicide n’est pas venu d’une terre continentale. Ces mêmes Corcyréens qui, au dire de leurs ennemis, « n’avaient jamais voulu d’alliés, afin de n’avoir pas de témoins de leurs iniquités, » trouvèrent moyen un beau jour, en l’an 436 avant la naissance de Jésus-Christ, de mettre, par leur politique inconsidérée, le feu à la Grèce. Corcyre était une colonie de Corinthe ; Épidamne, — aujourd’hui Durazzo, sur l’Adriatique, — était une colonie de Corcyre. De cet enchevêtrement naquirent, quarante-trois ans après la bataille de Platée, des prétentions rivales et finalement la guerre entre Corcyre et Corinthe. Il y avait alors en Grèce trois grandes marines : la marine d’Athènes, celle de Corcyre et celle de Corinthe. Les Corcyréens possédaient cent vingt trières ; ils en armèrent quatre-vingts et ouvrirent les hostilités. Les Corinthiens leur opposèrent soixante-quinze vaisseaux et deux mille hoplites. Le combat s’engagea devant Actium, à l’entrée du golfe d’Ambracie, lieu singulièrement propice aux batailles navales, car à toutes les époques de l’histoire des flottes s’y sont rencontrées. Corcyre remporta une victoire complète ; pendant deux années entières elle resta maîtresse de la mer dans ces parages. Les Corinthiens toutefois n’avaient pas perdu tout espoir de revanche. Ils construisirent des vaisseaux et rassemblèrent à prix d’argent des rameurs qu’ils firent venir de tous les points de la Grèce. Ils se trouvèrent ainsi en mesure de cingler vers Corcyre avec cent-cinquante vaisseaux. On avait déjà vu sur mer des Grecs opposés à des Grecs, — les Éginètes entre autres pleuraient leur marine anéantie par les Athéniens, — à aucune époque on ne vit, dans ces luttes regrettables, un pareil déploiement de