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fois George avait entretenu Carmen de l’idée d’interroger l’Indienne. Carmen était plus à même que personne de le faire, elle parlait et comprenait le maya, et Itza lui était tout particulièrement attachée. Pour cela, il fallait, sous un prétexte quelconque, s’assurer quelques heures de solitude avec elle et tenter un effort décisif. Ce projet souriait à dona Carmen, et ils s’étaient promis de saisir la première occasion. Dona Mercedes ne fit pas d’opposition à l’excursion annoncée, et Fernand se dit que l’absence de ses compagnons retiendrait Mercedes près de lui.

La convalescence a des heures charmantes. Fernand se sentait heureux ; les forces lui revenaient, il ressaisissait la vie. Le ciel bleu, les chants joyeux des oiseaux, les mille bruits de la forêt et, plus que tout, la présence de Mercedes, éveillaient en lui des sensations d’une douceur infinie. Son regard errait sur l’horizon lointain baigné dans la lumière, sur la ligne bleuâtre de la mer, sur les molles ondulations des grands arbres dont les cimes se découpaient en masses vertes, puis il revenait se poser sur la jeune fille assise à ses côtés. Il admirait ce front pur, ces cheveux dont le poids semblait courber la tête charmante inclinée sur son ouvrage, ces doigts agiles, cette petite main qui, appuyée sur son front, avait dans les heures d’angoisses fait succéder aux ardeurs de la fièvre une fraîcheur et un calme inconnus. Il l’aimait. Comme la vie serait belle s’il pouvait la garder là, près de lui, toujours !

Elle leva la tête. On eût dit qu’un instinct secret lui faisait deviner ses pensées ; un sourire triste éclaira son visage. Avec un geste plein d’une résignation muette elle reprit son ouvrage.

— Dona Mercedes, dit Fernand, il m’a semblé comprendre d’après votre conversation d’hier avec le curé Carillo que vous songiez peut-être à quitter Uxmal.

— Oui, bientôt. Ma résolution est prise ; nous nous retirerons, Carmen et moi, dans le couvent dont je vous ai parlé. Vous savez à la suite de quelles circonstances j’avais ajourné ce projet. J’ai eu tort de lui préférer un espoir chimérique et qui vous a coûté si cher. Croyez bien, ajouta-t-elle d’une voix émue, que je n’oublierai jamais votre dévoûment. Nos prières et nos vœux vous suivront partout.

Fernand pâlit. Ces quelques mots l’arrachaient à son rêve et le ramenaient à la dure réalité. Son horizon, jusqu’à ce jour limité au lendemain, s’agrandissait en s’assombrissant. Il entrevit tout à coup, dans un avenir prochain, le départ des deux sœurs, sa santé revenue, et, avec elle, la vie active, mais la vie sans Mercedes. Il lui sembla qu’un rayon dévorant du soleil des tropiques anéantissait en un instant cette riche végétation qui les entourait, et qu’une plaine aride et brûlée s’ouvrait devant lui. Il y marchait seul... et