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incombât au trésor ; mais l’état a profité de ce qu’il laissait le choix des juges aux zemstvos pour rejeter sur eux ce fardeau. C’est là un expédient financier qui n’est pas sans inconvénient pour la justice. Les assemblées qui nomment ces magistrats en fixent les émolumens à leur gré et non toujours sans parcimonie[1]. Cette rétribution varie beaucoup selon les régions et la cherté de l’existence, elle est en général d’environ 2,000 roubles, mais dans certaines provinces elle s’abaisse encore à 1,500 roubles, tandis que dans les capitales elle monte à 4,000 ou 5,000. Les zemstvos laissent aujourd’hui à la charge du juge tous les frais de la justice ; c’est à lui de fournir le local du prétoire, de le meubler, de le chauffer, à lui de se procurer un greffier et de le rémunérer. Ces frais réduisent d’une manière notable les émolumens du magistrat rural. Aussi beaucoup n’ont-ils d’autre salle d’audience qu’une chambre de leur maison ou une pièce de ses dépendances, voire une grange plus ou moins décemment accommodée, parfois à peine close et couverte. De même j’ai vu des juges qui par économie n’avaient pas de greffiers et en faisaient eux-mêmes l’office. Les zemstvos devront tôt ou tard remédier à cet état de choses en installant à leurs frais des salles de justice de paix. Le système actuel n’est pas moins fâcheux pour le public que pour le juge, car le prétoire change de place avec le domicile du magistrat, et comme ce dernier habite parfois à l’extrémité ou même en dehors de son canton judiciaire, les inconvéniens partout inhérens en Russie à la grandeur des distances sont ainsi accrus aux dépens des justiciables.

Le cens d’instruction légalement exigé des juges de paix n’est point aujourd’hui une garantie plus efficace de leur capacité que le cens de propriété ne l’est de leur indépendance. La loi ne réclame du candidat aucunes connaissances spéciales, aucun grade, aucun diplôme universitaire, elle se contente d’un certificat d’études inférieur à notre baccalauréat[2]. Le législateur fonde cette tolérance sur ce que le juge de paix doit plutôt juger en équité qu’en

  1. Dans les provinces où les juges de paix ne sont pas à l’élection, c’est le gouvernement qui fixe leurs émolumens, mais ceux-ci restent, croyons-nous, à la charge du budget provincial. En Lithuanie et dans les provinces du nord-ouest où les juges sont nommés par l’état, ils reçoivent un traitement plus élevé que dans l’intérieur de l’empire et prélevé sur les contributions dont le gouvernement continue à frapper les propriétaires polonais depuis l’insurrection de 1863.
  2. Certaines fonctions, telles que celles des anciens arbitres de paix créés pour la liquidation du servage, dispensent même les candidats de toute preuve d’instruction. Si faibles que soient à cet égard les exigences de l’état, il s’est encore rencontré, dans l’assemblée de la noblesse de la capitale, des propriétaires pour les trouver exagérées. Voyez M. Dmitrief, Revolutsionny conservatizm, p. 112.