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Les parties s’y peuvent faire représenter et défendre par des fondés de pouvoir (povêrennye). Tout homme majeur peut remplir l’office de défenseur et parler en cette qualité pour autrui. Il n’y a guère d’exception que pour les moines, les prêtres et les instituteurs. Parfois les parties font venir de la ville des avocats de profession ; mais le plus souvent les hommes qui se chargent de suivre les affaires du ressort de la justice de paix en font leur spécialité. Ce sont d’ordinaire des gens de peu d’instruction et parfois de peu de moralité, employés en retraite ou en disgrâce, anciens greffiers ou secrétaires sans place, quelquefois même vieux soldats ou sous-officiers libérés du service, en un mot tout individu ayant de la loquacité et quelque teinture de la procédure et de la chicane. Le barreau est aujourd’hui le côté le plus défectueux de la justice de paix et en général de toute la justice russe. Pour accroître leurs honoraires, ces avocats sans diplôme engagent souvent les crédules paysans à ne point se contenter de la sentence du juge et à pousser l’affaire jusqu’en appel, si ce n’est en cassation.

Il n’en est pas des juges de paix comme des tribunaux de volost, dont la sentence est irréformable. Les décisions de la magistrature élue ne sont définitives que pour les affaires civiles dans lesquelles le demandeur réclame une somme inférieure à 30 roubles ou pour les condamnations qui n’excèdent pas trois jours d’arrêt ou 15 roubles d’amende[1]. Dans tous les autres cas, il peut y avoir appel, non comme en d’autres pays auprès des tribunaux ordinaires, mais près de l’assemblée des juges de paix du district. Jusqu’ici nous pouvions nous demander ce que la Russie avait emprunté à la justice de paix anglaise, tant elle en avait altéré le caractère ; ici nous retrouvons un des traits essentiels du modèle britannique. Comme les justices of the peace du comté anglais ont leurs réunions trimestrielles, leurs quarter-sessions, les juges de paix du district russe ont leurs sessions mensuelles, leurs assises de paix (mirovye siezdy). On en appelle du juge de paix isolé aux juges de paix rassemblés, qui jugent en corps d’une manière définitive ce qu’ils avaient individuellement jugé en première instance. Ce système fort simple a permis à la Russie de donner à sa magistrature élective une pleine autonomie. Avec ces assises de paix, la justice issue de l’élection, se contrôlant elle-même, reste entièrement indépendante des tribunaux nommés par l’état[2].

  1. Il a déjà été question d’élever cette limite en matière civile jusqu’à 100 roubles, afin de diminuer le nombre des affaires qui viennent en appel près des assemblées de paix et en cassation devant le sénat.
  2. On a quelquefois conseillé d’appliquer un système analogue aux tribunaux des paysans, aujourd’hui dépourvus de seconde instance, mais les rustiques magistrats de village ont d’ordinaire trop peu de temps a consacrer à leurs fonctions pour siéger aisément dans une pareille cour d’appel.