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satin capitonné, 13 mètres d’étoffe de satin à rayures, genre algérien, 10 mètres de satin rouge, 10 mètres de satin bleu, 10 mètres de percale fine, six paires de bas brodés et une paire de mules à talons Louis XV, enfin deux moustiquaires, l’une en tulle, l’autre en mousseline brodée. Le roi et tous les dignitaires autour de lui étaient émerveillés ; ils passaient d’un objet à l’autre, comme des enfans, ne sachant pas ce qu’ils devaient le plus admirer. A un moment, le roi, voyant des paillettes d’or voltiger dans un des carafons d’eau-de-vie de Dantzig, fut fort intrigué et manifesta le désir d’y goûter. On trinqua à la gloire et à la grandeur de la France. « Araki malafia, excellente eau-de-vie ! » disaient-ils tous en tendant leurs verres ; le roi pour sa part revint trois fois à la charge avec sa timbale, répétant toujours : Ato Arnoux, araki malafia ! Le carafon y passa. La chaise à musique excita aussi une grande surprise, et on ne se lassait pas d’en égrener tous les airs les uns après les autres. Sur ces entrefaites la nuit était venue ; M. Arnoux prit congé, laissant le roi dans le ravissement.


II

Dès l’arrivée des voyageurs à Litché, la note d’Abou-Bakr contenant les frais de l’expédition avait été acquittée par le trésorier du roi ; M. Arnoux avait en outre besoin de 600 talaris pour solder son monde ; cette somme lui fut remise avec la même obligeance. Les jours suivans, le voyageur s’entretint longuement avec Minylik, en présence d’Ato Dargué et des principaux ministres, de toutes les questions qu’il n’avait pu qu’effleurer dans son programme : « Sire, disait M. Arnoux, c’est du Choa que partira pour l’Ethiopie le signal de la régénération, c’est de votre règne que datera pour ce peuple une ère nouvelle, plus glorieuse et plus éclatante que celle du vieux roi Kaleb dont le pouvoir s’étendait jusque sur l’Yémen. Ce que les Portugais ont fait jadis au XVIe siècle, quand ils vainquirent l’effort d’Ahmed Gragne et des musulmans conjurés, nous le ferons également ; nous sauverons l’Ethiopie d’un autre ennemi non moins redoutable, musulman lui aussi et qui vient du nord au lieu de venir de l’est. Nous arriverons à ce but, non par les armes et la violence, mais par les travaux de la paix. Je vois d’ici la route ouverte par Obock entre le Choa et la France, l’Aouach canalisé et rendu navigable ; les Adels eux-mêmes, dont on redoute la férocité, trouveront leur intérêt à nous prêter les mains. Une colonie française s’établira dans votre royaume ; elle sera le premier foyer d’où rayonneront dans tout le pays les bienfaits de l’agriculture, de l’industrie et des arts, la santé pour les malades, l’instruction pour les ignorans, la liberté pour les esclaves, la moralité pour tous ; de là