Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/923

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
917
QUATRE RENCONTRES.

— Il faut en parler, au contraire, répliquai-je en me rasseyant. Je suis votre ami, et il me semble que vous avez besoin d’un ami pour vous défendre. Voyons, quel est ce terrible embarras qui tourmente votre cousin ?

— Il a des dettes.

— Cela ne m’étonne pas. Mais à quel titre veut-il les faire payer par vous ?

— Il m’a raconté son histoire, et je le plains beaucoup.

— Moi aussi je le plains ! Mais j’espère qu’il vous rendra votre argent.

— Il me le rendra dès qu’il le pourra.

— Et quand le pourra-t-il ?

— Lorsqu’il aura vendu son grand tableau.

— Le diable emporte son grand… Pardon, miss Spencer ! Où est-il, ce malheureux cousin ?

Cette fois elle hésita plus que jamais avant de répondre : — Il dîne.

Je me retournai et jetai un coup d’œil dans la salle à manger dont la porte restait ouverte. Là, tout seul au bout d’une longue table, j’aperçus celui dont les embarras inspiraient tant de compassion à miss Spencer, l’aimable élève de Gérôme. Il était trop occupé de son dîner pour faire attention à moi ; mais, tandis qu’il reposait sur la nappe un verre vide, il dirigea les yeux de mon côté et remarqua mon attitude observatrice. Il s’arrêta dans son repas et me regarda, la tête penchée d’un côté, avec ses petits yeux clignotans ; puis ses maigres mâchoires se remirent à fonctionner.

Au même instant l’hôtesse passa près de nous avec son assiettée de fruits.

— Et cette belle pyramide est pour lui ? m’écriai-je, et j’éprouvai une telle irritation que je ne pus m’empêcher d’ajouter : — Voyons, trouvez-vous juste que ce grand flandrin accepte vos fonds ?

Elle détourna les yeux. Je lui faisais évidemment de la peine ; la cause était perdue, le grand flandrin l’avait intéressée.

— Excusez-moi, si je le traite si peu cérémonieusement, repris- je ; mais, en vérité, vous êtes trop généreuse, et votre cousin manque de délicatesse. Il a contracté des dettes, qu’il les acquitte lui-même.

— Il a manqué de prévoyance, je l’admets, répliqua miss Spencer. Il m’a tout dit. Nous avons causé longuement ce matin. Il ne comptait plus que sur moi. Il a signé des billets.

— Il a eu tort, puisqu’il n’avait pas de quoi faire honneur à sa signature.

— Mon cousin est lui-même le premier à reconnaître son tort ; mais il n’est pas seul à en souffrir. Sa pauvre femme…

— Ah ! il y a une pauvre femme ?