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noise. Elle avait de petits yeux perçans et ce que les Français appellent un sourire agréable. Comme la locataire de ma vision, elle portait une sorte de peignoir de cachemire rose, semé de broderies noires, et dont les larges manches laissaient voir un bras dodu.

— Je venais seulement vous prier de ne pas oublier mon café, dit-elle à miss Spencer avec son sourire agréable ; je voudrais le prendre dans le jardin, sous l’arbre.

Le jeune homme qui accompagnait cette dame s’était avancé à son tour, et lui aussi se mit à me regarder. C’était un assez gentil garçon de dix-huit à dix-neuf ans, avec un air de fatuité provinciale, — un Adonis de Grimwinter. Il avait un petit nez pointu, un petit menton pointu et de très petits pieds. Il me regarda bêtement, la bouche béante.

— On vous apportera votre café, dit miss Spencer, sur les joues de laquelle je vis apparaître deux points rouges.

— C’est bien, dit la dame au peignoir… Cherchez votre livre, ajouta-t-elle en se tournant vers le jeune homme.

Celui-ci regarda vaguement autour de la chambre.

— Vous voulez dire ma grammaire ? demanda-t-il avec une intonation plaintive.

La nouvelle venue me contemplait curieusement et rassemblait les plis de sa robe de chambre en étalant son bras potelé.

— Trouvez-vous votre livre, mon ami ? dit-elle.

— Vous voulez dire mon livre de poésie ? répliqua le jeune homme, dont le regard se fixa de nouveau sur moi.

— Baste ! laissons là votre livre, répondit la dame. Aujourd’hui nous causerons, nous ferons la conversation ; mais il ne faut pas déranger le monde. Venez,… j’attendrai mon café sous le petit arbre.

Après avoir prononcé ces dernières paroles à l’adresse de miss Spencer, elle me gratifia d’une inclination de tête et d’un : « Monsieur, j’ai l’honneur, » et s’éloigna suivie de son cavalier.

Caroline Spencer se tenait les yeux fixés sur le sol.

— Qui est donc cette dame ? demandai-je.

— C’est ma cousine la comtesse.

— Et ce jeune homme ?

— C’est son élève, M. Mixter.

Je ne pus pas m’empêcher de laisser échapper un petit éclat de rire ; mais miss Spencer ajouta avec une gravité imperturbable :

— La comtesse donne des leçons de français ; elle a perdu sa fortune.

— Je vois. Elle ne veut être à charge à personne. À la bonne heure !

Miss Spencer regarda encore le sol.