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élu dans le Tarn, est invalidé avec une majorité de 8,000 voix. L’innocence du suffrage universel a été mise à mal par M. le baron Reille, elle est maintenant remise à neuf !

M. le duc Decazes, élu dans une petite ville du pays de Nice, à Puget-Théniers, était depuis longtemps réservé pour être une des dernières victimes de l’invalidation, et, le jour venu, il s’est présenté aux exécuteurs de la meilleure grâce possible, sans façon et sans subterfuge. Il n’a point hésité à déclarer qu’il avait été le plus officiel des candidats, que sa candidature ne pouvait qu’être officielle dans une contrée où survivent encore quelques idées séparatistes et où l’élection du ministre des affaires étrangères prenait nécessairement le caractère d’une manifestation du pays pour la France. M. le duc Decazes, sans vouloir prolonger une défense qu’il savait inutile, s’est borné à relever avec fierté quelques paroles futiles et déplacées, il l’a fait en homme qui se souvient d’avoir porté le poids des affaires diplomatiques de la France pendant quatre ans, et surtout dans des heures de crise qu’on aurait pu ne pas oublier. M. le duc Decazes du reste a eu jusqu’au bout, jusqu’au scrutin, une fortune particulière et rare parmi les invalidés : il est demeuré seul entre les partis, victime d’une disgrâce qui est en vérité son honneur et qui a sa signification politique. Les légitimistes ne lui ont pas pardonné sa patriotique prudence dans les affaires italiennes et dans les affaires carlistes d’Espagne ; les bonapartistes ne lui ont pas pardonné ses sentimens pour l’empire : les uns et les autres l’ont abandonné aux républicains, qui restent bien convaincus que la chambre est assez riche en diplomates et en talens de toute sorte pour n’avoir pas besoin d’un homme de la valeur de l’ancien ministre des affaires étrangères. Et voilà comment une majorité abusée sur son propre pouvoir, dupe de son inexpérience ou de l’esprit de parti, est conduite à faire d’une simple vérification de titres une œuvre de représaille, à laisser dans les annales parlementaires ce précédent redoutable des exclusions systématiques par un coup de scrutin. Si l’on voulait faire un exemple, il fallait le faire vite, en choisissant avec tact quelques élections particulièrement altérées par l’action administrative. Il ne fallait pas inaugurer cette juridiction dangereuse d’une cour supérieure d’invalidation et surtout prolonger cette omnipotence indéfiniment. Il ne fallait pas, avec cette mystérieuse commission d’enquête qui dure encore, qui accumule les petits papiers, les dépêches et les commérages d’arrondissement, se placer dans cette alternative d’aboutir à un avortement assez médiocre ou d’en venir à des actes qui ne feraient que rouvrir une ère de conflits désastreux pour le pays.

C’est le malheur des républicains ou du moins d’une classe de républicains de ne point avoir le sentiment de la mesure et des conditions d’un ordre régulier, de transporter dans les sphères de l’action officielle les habitudes, les passions et souvent le langage d’une opposition qui