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viendra-t-il d’un autre côté de cette guerre de l’Afghanistan qui a suivi de si près la guerre d’Orient et qui peut avoir ses contre-coups en Europe ? L’Angleterre viendra certainement à bout de l’émir de Caboul. Son armée est engagée, ses généraux, sans avoir peut-être encore tous les avantages qu’on leur prête, sont partout en marche : ils ont avec eux des forces suffisantes et derrière eux la puissance britannique, qui ne leur manquera pas. Le succès militaire ne parait pas douteux, et le succès politique du ministère qui a décidé la guerre est moins douteux encore, à en juger par les premières discussions qui viennent de s’engager dans le parlement ouvert il y a quelques jours. Malgré la fougue avec laquelle M. Gladstone va au combat, dépassant par sa vivacité les chefs officiels du parti libéral, le comte Granville dans la chambre des lords, le marquis Hartington dans la chambre des communes, malgré cette ardeur, lord Beaconsfield semble d’autant plus aisément maître du terrain qu’il a pour lui l’opinion. Lord Beaconsfield triomphe avec une confiance un peu superbe de ses adversaires. Il se croit en mesure d’aller jusqu’au bout : il compte sur les chefs de l’armée, et d’un autre côté rien n’indique des complications prochaines avec la Russie.

Ce ne sont, à vrai dire, ni les conséquences possibles de la guerre de l’Afghanistan, ni les difficultés de l’exécution du traité de Berlin, qui assombrissent pour le moment les régions officielles sur le continent. Le malaise qui se fait sentir partout est bien plutôt la suite de cette fureur de meurtre qui a failli atteindre successivement l’empereur Guillaume, le roi d’Espagne, le roi d’Italie, et qui paraît avoir menacé dans ces derniers jours la reine Victoria elle-même. C’est la préoccupation dominante. Évidemment il y a aujourd’hui en Europe une inquiétude plus ou moins avouée, une sorte d’ébranlement secret, un commencement de réaction ; il y a en un mot une disposition générale dont les expressions les plus significatives sont une démarche récente de quelques cabinets auprès de la Suisse pour obtenir des mesures répressives contre les journaux des réfugiés socialistes, et les deux discours prononcés il y a quelques jours à peine par l’empereur d’Allemagne et l’empereur de Russie.

Les deux souverains ont l’accent mélancolique. L’empereur Guillaume, à peine remis des blessures reçues il y a quelques mois de la main d’un meurtrier et rentrant récemment à Berlin pour reprendre la direction des affaires, a été accueilli sur son passage par les ovations populaires. Il portait encore le bras en écharpe, et sur son visage, dit-on, une teinte de tristesse se mêlait à la joie qu’il éprouvait de l’accueil cordial de la population. En recevant le bourgmestre et le conseil municipal il leur a adressé un discours où perce la vive et « douloureuse » impression des derniers attentats et de la situation morale de l’Allemagne. « La prévoyance humaine, a-t-il dit, est impuissante contre les évène-