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se rendant au pays d’Harrar ; elle avait quitté Zeila depuis cinq jours et voici les nouvelles qu’elle apportait : Abou-Bakr, après avoir expédié la mission italienne, s’était rendu au Caire, où le vice-roi l’avait fait pacha, il devait sous peu rentrer à Zeila ; les désastres des Égyptiens dans l’Ethiopie du nord étaient confirmés, trois corps d’armée avaient été détruits, et l’on craignait même pour Massaouah, enfin M. Chauvet n’était plus vice-consul de France à Aden ; le changement de cet honnête fonctionnaire, qui s’était dès le début intéressé à mon entreprise, était pour moi de mauvais augure.

« Lundi 14. Nous avons dépassé successivement les stations de Lasguel et d’Alibué. Malgré la perte d’un certain nombre de bêtes, je n’ai rien voulu abandonner de mes marchandises ; les chameaux qui restent sont surchargés ; quelques-uns portent plus de 300 kilogrammes. Nous avons franchi la région des montagnes ; nous suivons dans la plaine la direction du nord-est qui conduit à Zeila ; à l’ouest est Obock ; mais Mohamet, se doutant que j’attaquerais bientôt la question, s’était entendu déjà avec les conducteurs de la caravane, pour que tous refusassent de changer de route, de plus je connaissais les ordres formels donnés par Abou-Bakr à ses fils ; néanmoins je me résolus à parler. Nous campons à Hensa ; je fais venir Mohamet, je lui dis qu’il devait se rappeler la promesse faite au roi de Choa de nous conduire à Obock, qu’il fallait donc que la caravane prît une autre direction et tournât vers la gauche. Mohamet me répondit : « Cela est impossible ; d’abord il n’y a pas de route tracée pour Obock, ni de guides pour vous y conduire ; les chargeurs eux-mêmes ne vous suivront pas, ils préfèrent se rendre à Zeila où ils ont leurs familles et leurs intérêts ; enfin à Obock vous ne trouverez ni barques ni provisions. » Tandis qu’il parlait ainsi, il était entouré d’une dizaine de Somalis qui appuyaient ses paroles ; je dus me résigner. Aussi bien il y avait pour ces misérables la question des esclaves qu’ils avaient amenés ; à Zeila, ils se plaçaient, eux et leur marchandise, sous la protection du pavillon égyptien.

« Mardi 15. Pour diminuer les souffrances des chevaux, je me résigne à quitter la caravane, et, prenant les devans, à gagner Tococha, où je trouverai pour eux de l’eau et des pâturages, je donne l’ordre de les harnacher, je choisis trois chameaux sur lesquels on charge les provisions, trois sacs d’orge, ma tente, mon lit de camp, la civette, l’autruche, je désigne les hommes de mon personnel qui doivent m’accompagner ; Sallassé et Gavré Teklé resteront à la garde des marchandises. Le capitaine Martini vient avec moi. Vers minuit, grâce à notre guide, nous arrivions à Ali Ouhée ; nous