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longtemps encore de la résurrection des drames de Diderot. C’est assez de ce chef-d’œuvre de la tragédie bourgeoise et de la comédie larmoyante, « monstres, comme le disait si bien Voltaire, qui naquirent de l’impuissance d’être plaisant ou tragique. » Notre siècle n’a pas manqué de pareils monstres, et, content de ce qu’il en a vu naître, opulent de son propre fonds, il peut se dispenser d’en aller laborieusement déterrer dans les profondeurs du répertoire.

Nous ne demandons pas en effet que la Comédie-Française devienne une sorte de conservatoire des débris du passé, quelque chose comme un musée classique, où rien de contemporain, rien de vivant de notre vie moderne n’aurait accès. C’est l’Odéon qui devrait être le conservatoire et le musée ; c’est lui qui devrait former les jeunes acteurs, je ne dis pas seulement au respect, mais à la superstition du répertoire classique. C’est là qu’ils devraient apprendre, non pas leur métier, ce qu’ils feraient tout aussi bien au Vaudeville, au Gymnase, dans les théâtres de drame et de mélodrame ; mais leur art, l’art de se tenir en scène, de porter le costume, l’art de comprendre et de dire le vers. C’est là qu’on devrait les nourrir du plus pur de la tradition et leur enseigner à quelle étonnante minutie les grands acteurs d’autrefois ne dédaignaient pas de descendre pour approfondir un rôle et composer un personnage. M. Duquesnel s’y prend d’autre sorte ; il leur fait jouer Joseph Balsamo. Les obligations de la Comédie-Française ne sont pas les mêmes. Elle se doit au répertoire, elle se doit également aux contemporains. Elle a bien fait de jouer l’Étrangère, elle serait inexcusable de ne pas jouer la prochaine pièce de M. Victorien Sardou. Nous approuverons même qu’elle sacrifie quelquefois à la mode pour attirer le spectateur et forcer dans ses derniers retranchemens un reste d’indifférence ou de préjugé. Le public aime les décors heureusement trouvés, les accessoires fidèlement imités, il ne se sent pas d’aise, quand il voit, comme dans l’Ami Fritz, M. Febvre manger d’un vrai potage et Mlle Reichemberg cueillir de vraies cerises : fort bien. Il souffle un vent d’opportunisme : cédons au temps. Nous louerons donc M. Perrin d’avoir pris le Demi-Monde au Gymnase, à l’Odéon le Marquis de Villemer, nous le louerons encore quand il prendra Ruy Blas. Qu’il observe pourtant une limite et par exemple qu’il ne prenne les Burgraves à personne. Il y a quelques années, il empruntait à l’Odéon le Testament de César Girodot, ces jours derniers il enlevait au Gymnase le Fils naturel : c’était précisément dépasser les justes bornes. On demandera pourquoi ? La réponse est aisée. Parce que M. Dumas n’écrit que pour la circonstance, parce, que ses pièces n’ont de vie que ce qu’elles en empruntent aux hasards dans lesquels elles sont nées et, si je puis dire, à l’actualité, des idées qu’elles débattent, — parce qu’avec leur parti pris de violence dramatique et leur crudité calculée d’expression elles