Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/584

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

consomption que souffre l’Université. Est-ce sa faute ? A-t-elle fait tout ce qu’il fallait pour se défendre contre l’anémie qui l’a progressivement envahie ? Est-ce la faute du temps où nous vivons et du discrédit où sont tombées les études sérieuses en France ? Il nous entraînerait trop loin de le rechercher ici. Ce qui est certain, c’est que notre enseignement supérieur est loin d’avoir, surtout dans les lettres, la vitalité qu’il possède à un si haut degré en Allemagne. Sans doute on pourrait nous opposer de brillantes exceptions ; à Paris par exemple, les chaires de littérature et de philosophie jettent un grand éclat aussi bien à la Sorbonne qu’au Collège de France, et la jeune École des hautes études a déjà formé toute une pépinière de savans qui ne laisseront pas dépérir entre leurs mains notre honneur scientifique. Mais ces exceptions ne font que confirmer la règle, et, sans être pessimiste, un fait saute aux yeux : c’est l’insuffisance absolue de nos auditoires de facultés. Et nous ne parlons pas seulement ici des auditoires de province ; nous songeons aussi bien à Paris qu’à Rennes ou qu’à Clermont. Même à la Sorbonne, même au Collège de France, les cours les plus suivis n’attirent que très peu d’élèves. Nos professeurs ne font pas école et n’ont pas de disciples. Le plus souvent leur parole se perd dans la sonorité d’amphithéâtres aux trois quarts vicies ou se dépense sans autre profit que la satisfaction de quelques dilettantes et la récréation d’un petit nombre de désœuvrés. Qui n’a vu ce spectacle au moins une fois dans sa vie et n’en a pas été scandalisé : le professeur dans sa chaire parlant ; devant lui, sur les premiers bancs, quelques jeunes gens, bien peu, prenant des notes et suivant avec attention la parole du maître ; derrière, un assemblage étrange de femmes élégantes et de gens sordidement vêtus, de bas-bleus de profession et de pauvres diables venus pour se chauffer l’hiver, pour se mettre à l’ombre en été, de gens qui entrent et de gens qui sortent dans un va-et-vient perpétuel ? Qui n’est revenu un peu écœuré de ces représentations où la dignité du professeur est à tous momens compromise ? Qui ne s’est demandé si l’enseignement de nos facultés ainsi pratique rendait bien tous les services qu’on est en droit d’attendre de lui ? C’est, je crois, Polybe qui a dit de la Grèce qu’elle était morte faute d’hommes, ὀλιγανδρίᾳ (oligandria). On en pourrait dire autant de la plupart de nos facultés des lettres : si elles dépérissent, c’est faute d’élèves ; là est leur vice constitutionnel et leur principe de mort. Dans les autres facultés, surtout dans celles de médecine et de droit, ce vice constitutionnel, ce principe de mort, trouvent leur correctif dans l’obligation des grades professionnels et dans l’empressement des jeunes gens qui se destinent aux carrières d’avocat, de magistrat ou de médecin. Les bonnes lettres, comme on