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manquèrent pas. Dans l’expédition de Saint-Domingue, il perdit à la fois son frère et son neveu, pour lesquels il avait obtenu un grade. Sa meilleure amie vint en même temps à disparaître. « Je ne m’aimais plus dès lors assez, écrit-il, pour faire attention à moi. » Une crise survint, elle fut terrible. Sa vigoureuse constitution d’Auvergnat triompha de tout, même du spleen. Plusieurs de ses amis, le chevalier de Panat, l’archevêque de Tours, M. de Bonnal, n’y avaient pas échappé. Malouet n’avait pu s’en guérir que par un voyage sur le continent. L’argent à un jour donné allait manquer complètement à Montlosier. Il songea à créer un journal. La princesse d’Hénin lui envoya 30 guinées. C’était peu de chose pour commencer la publication d’une feuille périodique. Il l’entreprit néanmoins sous le titre de Journal de France et d’Angleterre. Malgré les efforts de Malouet, de Lally et de quelques amis, on ne fit pas les frais.

Montlosier avisa alors le Courrier de Londres pour en faire l’organe du parti royaliste libéral. Un moment rédigée par Brissot, cette feuille avait eu un grand succès sous le nom de Courrier de l’Europe. Continuée depuis sous le titre de Courrier de Londres, elle était dans les mains de l’abbé de Calonne et menaçait de tomber tout à fait.

C’était un singulier homme que cet abbé. Le récit qu’a laissé Montlosier de leurs rapports est des plus piquans. L’abbé arrive un matin chez lui : « Vous pouvez bien avoir des préventions contre moi, lui dit-il, je conviens qu’à Coblentz, si j’avais été le maître, je vous aurais fait jeter dans le Rhin. J’avais alors contre vous et contre vos deux chambres une irritation que je ne puis pas encore me définir ; je suis bien revenu aujourd’hui de ces préventions, et puisqu’on m’a dit que vous aviez quelque envie de travailler au Courrier de Londres, je viens vous témoigner le désir que j’ai de vous avoir pour collaborateur. Mon frère vous fait les mêmes propositions que moi. » Après cette ouverture, Montlosier alla de son côté rendre visite à l’abbé. Il le trouva à genoux devant un reliquaire éclairé par des cierges. « Hélas ! lui dit-il, je suis un pauvre misérable qui me suis assez mal conduit toute ma vie, et qui actuellement dois faire pénitence. » Il lui nomma les saints dont il avait les reliques.

Malgré ces pratiques, il n’en continuait pas moins à Londres les habitudes d’un abbé du XVIIIe siècle. Au bout de peu de jours, il jugea à propos de se retirer au Canada. Le Courrier de Londres resta alors à Montlosier avec le tiers de la propriété et des frais de rédaction qui s’élevaient à 200 louis. Le baron de Montalembert vint un matin lui en avancer la moitié. Soutenu ainsi par l’amitié,